Article publié dans « Campagnes solidaires » – n° 356- décembre 2019
2O ans après « la bataille de Seattle »[1] contre l’OMC[2], la ville est calme : les firmes Microsoft, Boeing, Starbucks s’y épanouissent, déplaçant pertes et profits au gré des fiscalités nationales. Le président des Etats-Unis Bill Clinton avait choisi ce grand port du commerce transpacifique pour accueillir la conférence ministérielle de l’OMC. C’était sans compter sur les 40.000 manifestants[3] venus protester contre le symbole de la mondialisation néolibérale. Leur détermination, visible sur les écrans du monde entier, autorisèrent les gouvernements de nombreux pays du Sud à dire non aux Etats-Unis et à l’Union européenne, qui avaient pris l’habitude d’écrire les règles du commerce international.
manifestation contre l’OMC à Seattle – 30 novembre 1999
L’OMC ne s’est jamais remise de cet échec. Les Etats, incapables depuis de s’entendre sur de nouvelles règles, continuent de s’appuyer sur celles de 1994[4] pour définir leurs politiques agricoles, tandis que les plus puissants, dont l’UE, tirent leur avantage dans des accords bilatéraux ou bi-régionaux où le rapport de forces est favorable à leurs grandes entreprises.
La bataille de Seattle a marqué la naissance de l’altermondialisme, après 15 ans de développement du néolibéralisme mondial sous la houlette de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux USA, accéléré par un évènement majeur survenu en Europe.
Il y a 30 ans en effet, au soir du 9 novembre 1989, la police est-allemande laissait, sans intervenir, une foule enthousiaste détruire le mur de Berlin, construit en 1961 pour empêcher les habitants de Berlin-Est de fuir à l’Ouest. Le régime soviétique s’effondrait comme un château de cartes, signant la fin de la Guerre froide et faisant croire à certains à la « fin de l’Histoire ». La théologie néolibérale, avec le Marché comme dieu unique, s’est imposée alors comme un mantra idéologique ressassé par les gouvernements, les universités, l’UE… aujourd’hui encore.
200 ans après la Révolution française, une nouvelle bastille était tombée. Que dire de celles d’aujourd’hui ? Sont-elles encore si solides que nous n’osons les prendre ? Malgré le coût social et environnemental gigantesque du productivisme, malgré la catastrophe climatique et l’extinction biologique en cours, malgré des inégalités intolérables dignes de l’Ancien régime, nos nouveaux maîtres, souvent plus puissants que les Etats, se déploient impunément, faisant main basse sur nos données, notre identité, … notre agriculture. Ce sont eux les plus « radicalisés »[5], porteurs de violence sociale mortifère, comme le montre Edouard Bergeon[6] .
Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre, nous disait Einstein. L’idéologie néolibérale rend aveugle et sourd. Alors, de la France au Chili, au Liban, à l’Algérie, Haïti, et autres pays où les 99% ne supportent plus l’accaparement des richesses et du pouvoir par les 1%, la rébellion gronde, encore dispersée.
A Johannesburg en 2002, le président français Jacques Chirac osa dire la vérité sur les enjeux climatiques et sociaux et appelé à un Conseil de sécurité économique et social à l’Onu ainsi qu’à une Organisation mondiale de l’environnement. Puis il s’empressa de n’en rien faire. Face à l’inaction des gouvernements, la jeunesse, la plus légitime pour parler au nom de notre espèce humaine en danger, se lève.
« Les enfants parlent, plaident, réclament. Les mûrs auront-ils des oreilles[7] ? ».
Pour sortir par le haut du désastre en cours, la convergence des mobilisations contre les inégalités sociales et contre le péril climatique est indispensable.
Alors, pour ne pas rejouer à … 39, n’attendons pas dix ans pour faire du neuf !
Gérard Choplin
[1] du 29 novembre au 4 décembre 1999- voir « 4 days in Seattle » – youtube –
[2] Organisation mondiale du commerce, créée en 1995 après l’accord sur le commerce international de 1994
[3] Syndicalistes et jeunes activistes américains, associations environnementales, paysan-ne-s de Via campesina
[4] Accord GATT/OMC signé à Marrakech en avril 1994
[5] Aurélien Barrau, France Inter – la Terre au carré – 11 octobre 2019
[6] Dans le film « Au nom de la terre »
[7] François-Xavier Druet – « Fichtre ! voilà que les enfants parlent! » – La Libre Belgique – 9/10/2019
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