Politiques agricoles, commerce international, souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire, ,…: un blog de Gérard Choplin

 Homo sapiens ne peut continuer à se prendre pour Homo Deus

Entre 1850 et 1970, nous avons vécu en Occident dans une vision positiviste du sens de l’Histoire, où progrès technique a été associé avec progrès humain et progrès social.

Et depuis Descartes, particulièrement en France, l’Homme s’est déclaré au-dessus de la mêlée, au-dessus de la nature.

Mais aujourd’hui, le progrès technique n’est plus autant synonyme de prospérité et de progrès social.

Le sens de l’Histoire serait-il devenu la catastrophe ?

Il n’existe bien sûr pas de sens de l’Histoire. Rien n’est écrit, tout dépend de nous.

A nous et nos gouvernants de décider, parmi tout ce qu’on peut faire, ce que l’on doit faire, et ce que l’on ne doit pas faire. Et le rapport risques/bénéfices n’est pas toujours facile à évaluer.

Rappelons-nous que jusqu’en 1885, on ne savait pas opérer l’appendicite et on en mourait.

Le transhumanisme eugéniste est-il inéluctable ?

Comment réguler Homo Deus et définir le souhaitable ?

Par exemple, personne n’a utilisé d’explosifs nucléaires pour creuser des tunnels.

Il y a 25 ans, l’Union européenne a refusé l’utilisation de l’hormone laitière transgénique qui augmentait le rendement des vaches. Et l’irradiation des aliments reste marginale en Europe, même si elle n’est pas interdite complètement.

Le rôle du politique est donc de poser des limites.

Les ruptures technologiques ont toujours été déterminantes dans l’évolution de l’agriculture.

Au 19e siècle, l’exploitation du charbon et le développement des bateaux à vapeur ont poussé à délocaliser une partie importante de la production agricole vers les Amériques. On a abandonné les cultures textiles. L’Angleterre, régnant sur les mers, s’est approvisionnée dans ses colonies, a abandonné sa politique agricole de production domestique et prôné le libre-échange.

Au 20e siècle, le pétrole a remplacé le charbon et a conduit à la révolution verte : mécanisation et chimie (engrais, pesticides), et la génétique. On a remplacé le travail agricole par des machines et une économie agricole minière extractiviste et non renouvelable.

Les politiques publiques favorisent les innovations techniques qui soutiennent leur idéologie. Au début de la Politique agricole commune, dans les années 1960, l’UE voulait augmenter la production et vider les campagnes pour apporter de la main d’œuvre aux usines des 30 Glorieuses. Et il fallait une nourriture pas chère pour que le salaire des ouvriers et des employés ne soit pas trop élevé.

D’où l’intensification très rapide de l’agriculture européenne et le productivisme favorisés par la PAC : l’agriculture s’est industrialisée, s’est éloignée de la nature : c’est une période dorée pour les chimistes, les machinistes agricoles et les généticiens-semenciers.

A partir des années 90, après la chute du Mur de Berlin, les néolibéraux ont cru à la fin de l’Histoire : leur terrain de jeu est devenu la planète entière et les règles du jeu ont donc changé.

Les règles des politiques publiques, au niveau international, européen, national, ce sont des règles écrites par les plus puissants. Celle du commerce international de 1994 (accord OMC) ont été écrites par les USA et l’UE, les 2 acteurs commerciaux les plus puissants de l’époque.

Notre politique agricole s’est donc soumise à ces règles, où exportation et importation, compétitivité internationale devenaient les moteurs, favorisés par des coûts de transport bon marché et bientôt accélérés par une nouvelle rupture technologique, celle de l’informatique et d’internet.

Faire bouger les capitaux librement d’un clic de souris, cultiver des milliers d’ha en Roumanie depuis sa ferme d’Alsace (en contrôlant ses ouvriers sur des machines agricoles gigantesques jour et nuit), cela a été rendu possible par l’innovation technique et des politiques publiques qui favorisent la recherche du moindre coût de production, que ce soit par du dumping social ou environnemental ou économique : c’est la mondialisation, non seulement de la production agricole, mais aussi de la distribution, qui a fleuri au tournant du millénaire.

Cela a été possible parce que jamais, dans les politiques publiques, on n’a internalisé les dégâts sociaux et environnementaux de cette course au moindre coût de production, qui va de pair avec l’industrialisation de la production.

Aujourd’hui, nous avons en agriculture des robots, des drones, des satellites, des clones, des nanotechnologies, des OGM, les big data, la blockchain, la viande synthétique, …  

La digitalisation de l’agriculture est en route et dans les couloirs bruxellois, il n’est pas bien vu de se poser des questions sur ces nouvelles technologies. Par contre, on y bavarde beaucoup autour de l’agriculture intelligente, de villages intelligents (smart villages).

Mais les choses bougent et la planète en surchauffe inquiète même les plus néolibéraux : après Hiroshima, Tchernobyl, et le covid-19, les catastrophes émergentes comme le réchauffement climatique et l’extinction de la biodiversité deviennent prégnantes dans la réflexion des politiques publiques.

Des voix puissantes restent cependant à l’œuvre pour que le monde d’après ne change pas le paradigme du monde d’avant. On nous dit qu’on s’en sortira par l’innovation technologique, … quitte à habiter sur Mars si on rate notre coup et qu’on grille notre planète.

Les usines verticales urbaines à légumes hors-sol, tout comme le développement de viande synthétique à partir de cellules clonées, personnellement me glacent mais bénéficient d’énormes investissements de grands acteurs financiers comme les GAFAM, plus puissants que beaucoup d’Etats.  

Les GAFAM et des multinationales de l’agriculture comme Bayer, Syngenta, Yara, John Deere, etc … s’empressent de racheter les firmes de digitalisation de l’agriculture pour contrôler le marché émergent des big data des exploitations agricoles. Ces firmes sont puissantes et influencent l’écriture des règles des politiques publiques.

Bio-gaz, bio-technologie, bio-contrôle, bio-solution, carbon farming, … aujourd’hui tout est bio et le greenwashing fleurit au sein des politiques publiques.

Pourtant les nouvelles stratégies « biodiversité » et « de la ferme à la fourchette » proposées en 2020 par la Commission européenne, avec une volonté – manquée- de les intégrer dans la prochaine PAC, sont un signe positif.

Le réseau “FarmHack » et beaucoup d’autres initiatives dans le monde utilisent la digitalisation, en open source, au service de l’agriculture locale, de circuits courts et de petits paysans.

Mais nous avons besoin de plus de débat public et de réflexion sur les opportunités et les limites des technologies possibles actuelles, afin de peser sur les choix des politiques publiques.

La politique agricole n’est pas la seule concernée :  la politique de recherche, où l’Etat se désinvestit au profit du privé, l’est aussi. Les crédits européens pour la recherche sont beaucoup plus importants pour les technologies génétiques que pour l’agroécologie.

Concrètement les choix actuels de l’UE sont encore très orientés vers les technologies biotech et digitales : 2 exemples pour le débat actuel sur la réforme PAC :

  • Dans les éco-dispositifs, une note de la Commission européenne de novembre dernier à destination des Etats membres, mentionne l’agriculture de précision, à côté de l’agroécologie, comme une des priorités à financer dans le cadre des aides de la PAC ;
  • Dans la partie dite du « développement rural » de la PAC, on peut financer de grosses installations de méthanisation, et certaines régions comme la Bretagne ne s’en privent pas.

Si nous avons réussi, grâce à une résistance citoyenne européenne, à faire interdire l’hormone laitière dans les années 90 dans l’UE et à faire interdire jusqu’à présent la culture d’OGM, les débats sur les enjeux éthiques et sociaux des nouvelles technologies utilisées en production alimentaire peinent à émerger dans le public, y compris agricole.

Qui par exemple contrôlera les big data des exploitations agricoles ?

Si Homo Sapiens continue à se prendre pour Homo Deus, l’ère géologique du « Poubellien supérieur » entérinera peut-être sa disparition, après un dernier souffle techno-industriel.

Mais le pire n’est pas certain et si Homo Sapiens est vraiment sapiens, s’il réintègre sa place et pas plus au sein du monde vivant, alors notre planète pourra revivre et nos campagnes pourront vivre et nourrir la population et nos sens.

Gérard Choplin, février 2021, dans le cadre d’une enquête de ETC group (Action Group on Erosion, Technology and Concentration) – https://etcgroup.org/

https://etcgroup.org/content/did-you-know-digitalization-agriculture-could-affect-farmers-rights

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