Réinventer l’agriculture
Gilles Luneau, rédacteur en chef de GLOBAL- 24 Février 2016
Aujourd’hui, crise laitière, crise bovine, crise porcine, hier crise du poulet, demain crise céréalière… La ferme France est gravement malade. Politiques et professionnels persistent à n’y voir que des malades isolés à qui on inflige des thérapies d’urgence. Pourtant, à l’instar de La Fontaine parlant des animaux malades de la peste, on peut aujourd’hui avancer à propos des paysans : ils ne meurent pas tous mais tous sont frappés, dans leur chair, leurs biens et leur esprit par un cancer nommé productivisme industriel. Qui aura le courage d’assumer le diagnostic ? Et de rédiger l’ordonnance.
L’agriculture ne peut pas s’extraire de la vie et de la société. La société, au niveau mondial, vit une crise aux visages multiples et sans précédent dans l’histoire des civilisations humaines. Crise économique depuis les années 73-74, crise financière depuis le crack boursier de 2008 avec la crise sociale qu’elles entrainent ou aggravent ; crise des ressources naturelles disponibles ; crise démographique ; crise écologique avec la chute dramatique de la biodiversité et le réchauffement climatique. On peut légitimement se poser la question d’une crise globale, d’une crise de modèle non seulement économique mais d’une crise de mode de vie. En fait, c’est beaucoup plus qu’une crise, et le changement climatique en cours nous en fournit la preuve : nous avons mené une véritable guerre à la Terre depuis le milieu du XIXe. Une guerre d’épuisement pour ne pas dire d’extermination.
Ces dernières années, nous semblons découvrir le désastre, nous nous étonnons encore que la Terre réagisse. Elle ne se laisse pas faire. Nous avons tant dépassé tous les seuils de destruction de la biodiversité avec tout ce que cela implique de déséquilibres écosystémiques, de destruction des milieux naturels par l’extraction minière, par la déforestation, la poldérisation, l’urbanisation, la fragmentation des territoires, les pollutions de l’eau, du sol, de l’air que nous avons définitivement changé la Terre et la nature qu’elle porte. C’est ce que les scientifiques appellent désormais notre entrée dans l’ère de l’anthropocène. Le constat du Groupe d’experts intergouvermental sur l’évolution du climat (GIEC) est là et nul ne peut plus l’ignorer.
Il ne s’agit plus de discourir sur les causes d’une crise qui serait passagère, nous sommes sur le champ de bataille de la guerre que nous avons mené contre la nature. Il s’agit de regarder devant, de trouver les chemins de la paix et de la reconstruction d’une vie qui ne sera jamais plus comme avant la carbonification de notre atmosphère. Nous en avons pris pour des siècles, il faut s’en rendre compte. Ce n’est pas nécessairement catastrophique, mais il faut accepter de revoir entièrement notre mode d’habiter la Terre ; trouver les initiatives humaines et les innovations techniques qui vont permettre de muter vers une société décarbonée. Il ne faut pas se bercer d’illusion : il va y avoir économiquement des gagnants et des perdants, c’est tout l’enjeu du débat démocratique et des politiques publiques qui en sortiront.
Par un processus qui tient autant de l’engluement de notre inconscient collectif dans une notion de progrès – elle-même forgée dans une conception scientifique, économique et politique de domination de la nature – que des manœuvres des lobbies économiques, nous avons forgé une armure idéologique qui fausse notre vision du monde. Les oeillières qui la caractérisent s’appellent croissance, PIB, compétitivité, parcellisation des tâches et des savoirs, soumission à une vision cartésienne de la société.
A l’heure où l’on revisite les modes de production, de vie et d’organisations à l’aune de leur addiction au carbone, on doit aussi s’interroger sur l’organisation en filières de l’agriculture française. Elle est le reflet de l’idéologie industrielle, technique, qui la structure et la précipite à sa perte aujourd’hui.
Urgence climatique
L’agriculture est le premier secteur concerné par le changement climatique, tant celui-ci impacte l’ensemble des facteurs et ressources nécessaires à son bon exercice. Le gain en croissance des végétaux dans l’hémisphère nord ne sera pas suffisant pour compenser les baisses de production dues à la raréfaction de l’eau, l’appauvrissement des sols et leur désertification dans les régions les plus exposées aux extrêmes climatiques. Même contenu, même atténué, le changement climatique oblige les agricultures du monde à s’adapter. Le modèle agronomique de la « révolution verte », basé sur l’intensification de la production par les engrais minéraux et de synthèse, la concentration des exploitations, l’irrigation et la mécanisation doit être révisé en fonction des nouvelles contraintes pédo-climatiques, de l’eau renouvelable disponible, de la biodiversité et de la réduction des émissions de GES. On va manger plus local, moins carné, avec des variétés rustiques de végétaux, mais peut-être aussi aller puiser dans les algues ou les insectes les nutriments nécessaires à notre santé.
Formatage industriel
Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’agriculture française s’est organisée selon le modèle industriel. On a jeté aux orties les siècles de savoir-faire, les variétés végétales et animales, fruits d’une longue sélection des écosystèmes locaux, pour leur préférer une simplification ancrée dans la pensée d’ingénieur, la logique technique. Véritable normalisation dévastatrice de pratiques, de pensées, de liens sociaux, d’écosystèmes. On en dira jamais assez combien la pensée d’ingénieur est dictatoriale en ce sens qu’elle soumet le monde au diktat mathématique le plus élémentaire : du basique qui élimine ce qui le gêne – le hasard, l’imprévu, le subjectif, les affects, la créativité – dans la mise en équation du monde. Qui plus est, cette pensée se structure autour des moyens techniques qu’elle a à sa disposition et qu’elle façonne au fur et à mesure de ses besoins, sans jamais remettre en cause le postulat de départ qui peut être erroné ou simplement obsolète. Très vite, c’est donc la technique disponible qui engendre la pensée d’ingénieur. C’est vulgairement illustré par les expressions « il n’y a pas de problème, que des solutions » ou « cet appareil, cette technique, vont révolutionner la production » ou encore « c’est la faute à l’ordinateur ». De cette pensée affaiblie et soumise à l’empire technique est né le concept de filière agricole. L’idée de base est très simple : rassembler les différents acteurs d’une production, de l’amont à l’aval, car ils ont des intérêts communs. L’idée est séduisante en ce qu’elle évacue la complexité de l’acte agricole, son interdépendance avec le milieu naturel.
Echec gravissime avéré
Le gros problème, c’est que la culture et l’élevage sont des activités de dialogue avec le vivant dans toute son arborescence, toutes ses multiples interactions (entre espèces, avec le milieu, le lieu, l’être humain). Rien à voir avec une usine métallurgique où la fabrication d’une pièce n’est déterminée que par un cahier des charges de données physiques ou chimiques, d’outilset de gestes, prévisibles et prévus. Contrairement à l’agriculture qui se pratique avec des facteurs aléatoires tels le climat, la génétique, la biochimie du sol, la qualité de l’air, de l’eau et l’humeur du paysan. Ce qui est réductible en gestes économes sur une chaîne de montage automobile, devient vite catastrophique à la ferme. Nous l’avons sous les yeux avec les élevages concentrationnaires où nous considérons les animaux comme les objets d’un processus de production; avec les grandes monocultures ravageuses du sol, de la biodiversité et du paysage. Avec le lent empoisonnement par la chimie agricole, là encore pur produit de la logique technique : on ne s’interroge pas sur la venue d’un prédateur ou le surgissement d’une maladie, on réduit le fait à un dysfonctionnement auquel il faut une solution rapide ; solution illusoire comme le prouve, par exemples, l’histoire des résistances aux herbicides et la mutation des pathogènes.
Oser le bilan
Il est grand temps de rompre avec l’organisation industrielle de l’agriculture! Elle repose sur des associations spécialisées de producteurs (et non plus de paysans) et l’organisation en filière de production. On n’y raisonne pas en fonction des besoins d’un territoire mais d’objectifs nationaux et internationaux définis par les exigences de rentabilités des acteurs non-paysans de la filière (industrie agroalimentaire, grande distribution, industrie de la génétique, machinisme agricole). Rappelons que les crises actuelles (bovine, porcine, laitière) touchent 10% des élevages français, majoritairement les plus industrialisés (chiffres ministère de l’agriculture).
La filière est l’outil principal du productivisme. Certes, elle a permis de produire les volumes nécessaires quand il a fallu, après la Seconde guerre mondiale, reconquérir l’autosuffisance alimentaire du pays. Par, contre elle n’a pas su se réguler et, pire, elle a d’une part fait baisser les prix agricoles car c’est un système dont la logique est la destruction continue de la valeur du travail (l’homme y devient une variable d’ajustement économique) ; d’autre part, elle a accru la concurrence entre paysans sur un même territoire, chaque crise se soldant par l’élimination d’une partie d’entre eux (concurrence acharnée pour l’agrandissement, les droits à produire, les terres) et entre régions (parce que la filière ne se pense jamais comme accès à une demande limitée par la démographie d’un territoire mais toujours à une demande croissante fictive, dont le mythe de l’exportation est un ressort). A chaque crise, au nom de la préservation de « l’outil de production », les grosses fermes dévorent les petites : la filière est mère de la concentration de la production agricole. Elle a ruiné et détruit la société paysanne et rurale. Il nous faut penser la séparation de la filière d’avec le productivisme.
La filière est au cœur du système d’endettement des agriculteurs, pour le plus grand bénéfice de l’amont (qui vend au plus cher) et de l’aval (qui veut la matière première au prix le plus bas). Seul l’agriculteur prend les risques économiques. C’est lui qui emprunte pour les bâtiments, le matériel, le cheptel sans pour autant pouvoir négocier ni ses prix d’achats … ni ses prix de vente. La filière a un effet ciseau sur le paysan qui le ruine et le pousse aujourd’hui au suicide (un suicide d’agriculteur tous les deux jours).
La filière est un facteur de perte d’indépendance de la ferme, un outil de soumission du paysan aux multinationales. Aujourd’hui les filières sont largement contrôlées par les grands groupes industriels agroalimentaires, coopératives comprises. Recherche et génétique en amont, transformation et distribution en aval. Une filière est segmentée par acteurs avec très souvent une parcellisation des tâches. Par exemple la filière « poules pondeuses » est segmentée en « multiplicateurs » de poulets d’une race hybride qui fournissent des œufs à des « accouveurs » qui font éclore les œufs et trient les poussins (on ne garde que les femelles) ; ces poussins sont confiés à des « éleveurs de poulettes » qui fournissent les poules pondeuses aux « producteurs d’œufs ». La filière s’organise d’abord autour du produit et de son prix, d’où la recherche de la compétitivité … jusqu’à l’autodestruction de la filière. Elle est rarement organisée autour des hommes – producteurs et consommateurs – et autour de la qualité (et c’est même vrai dans les AOP).
La filière produit le plus souvent une « pensée en silo », abandonnée à sa seule logique technique. On n’y fait peu de cas de « l’horizontalité de la ferme » : rapport au sol, aux voisins, aux approvisionnements et besoins locaux, aux biens communs, aux visions d’aménagement et de développement du terriroire, au vivre ensemble, au paysage.
La filière fausse le rapport à l’espace et au temps. Dans une organisation verticale, la pensée l’est aussi et évacue la complémentarité entre agriculture et territoire. L’agriculteur pense plus souvent aux contraintes de l’amont et de l’aval qu’à l’insertion de son activité dans le territoire. Le rapport au temps n’est plus celui des saisons et des rythmes biologiques des animaux mais celui qu’on doit leur imposer pour répondre à la demande des industries d’aval. Chez les végétaux, la filière les a adaptés aux besoins de la mécanisation, au détriment de certaines qualités botaniques et au détriment des sols, compactés par les engins, dévitalisés et pollués par la chimie de synthèse.
La filière est le véhicule des normes. Les normes sont l’expression d’une pensée. La pensée industrielle européenne ne produit pas les mêmes normes que la pensée nord-américaine car historiquement elles sont le produit de rapports de forces différents entre le social et l’économico-politique. Les normes, c’est tout l’enjeu des tractations secrètes actuelles du Traité de libre échange transatlantique (TTIP/TAFTA).
La filière allonge la distance entre la ferme et le consommateur, au détriment économique des deux.
La crise syndicale actuelle est un fruit de la faillite du modèle filière. La contestation de la FNSEA par ses membres, la désyndicalisation, la radicalisation populiste traduisent le désespoir des agriculteurs face à l’anthropophagie du système filière. Il ne fait plus rêver personne. A chaque crise on se dit c’est à qui le tour de disparaître ? Depuis la Libération, le syndicalisme agricole a épousé sans réserve la logique industrielle de développement. Les coopératives qu’il contrôle dévorent leurs adhérents avec le même appétit que les entreprises privées. Cette idéologie technique a fait rêver les paysans en promettant de leur faire quitter leur condition pour leur donner la reconnaissance d’un métier. Confiants, les femmes et les hommes de la terre sont devenus des professionnels avec un diplôme d’agriculteur. Puis le métier d’agriculteur n’a plus satisfait l’industrie agroalimentaire qui a exigé de chaque exploitant agricole qu’il se spécialise (porc, bovin, volaille, grandes cultures…). Ensuite, l’industrie a imposé une segmentation de la spécialité (naisseurs, engraisseur, multiplicateur de semences, maïsiculteur…). Le syndicalisme a toujours suivi, multipliant les associations spécialisées et les filières. Nous abordons maintenant la phase de substitution de ce qui reste d’agriculteurs par des robots. Il y en aura bientôt au volant des tracteurs. Et les premiers essais de fabrication de viande artificielle sont concluants. Que va faire le syndicalisme ? Défendre les filières d’usines automatisées de production d’aliments ?
Réinventer l’agriculture
Constat fait de la rupture de savoir agronomique de ces cinquante dernières années, il nous faut réinventer l’agriculture. Cette réinvention passe par l’abandon de l’actuelle organisation en filières industrielles. Mon propos n’est pas de dire qu’il faut abandonner le principe de complémentarité d’acteurs qui fonde les filières mais de le remettre à plat de l’amont à l’aval. Comme on doit revoir de fond en comble l’organisation générale de la société en fonction de ses émissions de gaz à effet de serre et son empreinte écologique.
Il faut redéfinir le cadre conceptuel des filières en les territorialisant, en intégrant les exigences de l’agro-écologie et les contraintes (atténuation, adaptation) du changement climatique. Sans omettre d’introduire cette nouvelle approche dans l’enseignement et la formation agricoles, ce qui veut dire aussi arrêter d’enseigner l’agriculture industrielle.
Réinventer les filières avec les contraintes de l’atténuation du réchauffement climatique et de l’adaptation aux changements qu’il induit, cela veut dire rompre avec les critères de base de l’agriculture industrielle enracinée dans le pétrole et la chimie de synthèse qui en découle. Diminuer les émissions de dioxyde de carbone mais surtout de méthane et de protoxyde d’azote conduit à revoir les modes d’élevage et leur niveau de productivité ; revoir le travail et l’entretien des sols, la consommation d’eau, la consommation d’énergie fossile (machinisme, transport) ; la consommation d’énergie sur la ferme ; la lutte contre le gaspillage (des ressources naturelles, des denrées alimentaires) ; l’utilisation des pesticides ; l’adaptation du matériel génétique aux nouvelles conditions climatiques (races et variétés rustiques, échanges d’expériences, tests…). On a plus que jamais besoin des semences paysannes, réservoirs de gènes endormis gardant la mémoire d’autres régimes climatiques.
Rompre avec la fragmentation de la pensée, c’est avoir une stratégie de développement des territoires positionnant l’agriculture comme une des actrices centrales de la vie. L’identification des enjeux collectifs généraux, les impacts socio-économiques des productions agricoles, la prévention de la santé, impliquent d’incorporer dans la gouvernance locale, régionale, la dimension de gouvernance alimentaire.
Par son impact sur le milieu naturel, l’agriculture a des responsabilités dans la préservation de la biodiversité domestique et sauvage. La biodiversité se préserve « horizontalement » et réclame donc une pensée d’écosystèmes.
Réfléchir à la territorialisation des filières, à leur interaction avec leur milieu géographique et humain, c’est aussi étudier l’intégration des activités agricoles et agroalimentaires dans l’économie collaborative et l’économie circulaire du territoire considéré. Le développement, la transition énergétique et écologique ne peuvent se penser acteur par acteur mais avec l’ensemble des acteurs. Cela va jusqu’à l’implication dans la démocratie locale. Une filière doit satisfaire au développement durable du territoire de ses différents acteurs. Par exemple, la production d’énergie par les exploitations agricoles se pense à l’échelle locale/régionale et non pas comme un tuyau vers le réseau national. Dans cet esprit, le travail en réseaux prend toute son importance : réseaux locaux d’entreprises, de moyens, de clients, de consommateurs.
Le comportement des consommateurs évolue aussi avec les enjeux du changement climatique : le développement des circuits courts, l’agriculture urbaine, la baisse de la consommation de viande, autant de tendances qu’il faut aussi intégrer dans la révision de la carte territoriale agricole.
Recouvrir une pensée globale des interactions locales suppose de dépasser la conception spatiale du territoire, pour penser les territoires tels qu’ils sont vécus : multiples, se chevauchant, jamais statiques. Territoire-contenant (administratif, politique) ; territoire construit (par les activités de production, la culture, les loisirs, les regroupements d’acteurs autour d’un sujet, d’un problème) ; territoire de la mobilité (ex : les gares devenant des espaces de shopping).
Cette pensée globale des interactions locales doit pouvoir s’élaborer dans des lieux de confrontation des approches. On pourrait envisager d’ouvrir les Chambres d’agricultures à la société civile, aux différents usagers de la nature. Elles pourraient devenir des « Parlements régionaux de la nature » où s’harmoniseraient les champs de la gouvernance (alimentaire, écologique, climatique, économique…), où la nature aurait une place politique.
Imaginer un instant que l’on mette ce dispositif en place pour que l’ensemble de la société s’empare, par région, des crises agricoles précitées et tende la main aux agriculteurs en détresse ? Chaque région s’emparerait de la politique agricole : étudier les urgences, évaluer l’autonomie et la sécurité alimentaire régionales, prendre les décisions en conséquences. A partir de là, réclamer le pilotage des aides d’urgence du ministère de l’Agriculture et de l’Union européenne. Pilotage sur projet politique précis. Mobiliser la société civile pour faire société autour des agriculteurs en crise. Pour leur dire « vous n’êtes pas seuls » et travailler ensemble aux solutions.
Courage politique
La gravité de la situation actuelle exige de sortir des clivages syndicaux ou corporatistes. Il faut tendre la main aux naufragés, même si l’on peut penser qu’ils sont à la fois les victimes et les acteurs de leur malheur. Parce que sont des femmes et des hommes dans la détresse, abandonnés par les responsables – politiques, syndicaux- qui les ont conduit dans ce modèle économique. Nous avons aussi l’obligation stratégique de remettre à plat notre modèle agricole car c’est de notre nourriture quotidienne dont il s’agit. Il est donc légitime que chacun-ne s’en inquiète.
Les solutions alternatives à l’agro-industrie ont fait leurs preuves, elles protègent aujourd’hui l’agriculture paysanne de la crise. Il faut maintenant changer d’échelle. Mais les réussites d’autres modèles agronomiques restent de toute façon hors de portée d’un éleveur étranglé par les dettes et coincé dans un appareil de production intransformable. Désespérément seul face aux créanciers. Il faut être capable de lui proposer une solution d’urgence et une vision stratégique, collective, pour s’en sortir. Au rayon des solutions d’urgence, il y en a deux de bon sens : interdire la vente à perte au niveau européen et limiter les volumes de production. Cela permettrait de s’asseoir calmement autour d’une table pour discuter de l’avenir. Pour réfléchir aux régulations à mettre en place qui ne favoriseraient pas les élevages industriels. Pour plafonner les aides européennes et garantir un revenu minimum aux petites fermes. Pour soutenir la conversion à des pratiques agricoles climato-compatibles. Pour créer des exportations agricoles équitables intra-européennes.
Désindustrialiser les filières redonne à l’agriculture et à la nourriture une place centrale dans la société et peut devenir un levier puissant de la transition écologique. Nous avons aussi besoin de cette réflexion pour affronter la concurrence internationale, pour lui opposer un modèle performant non sur le terrain du prix bas mais performant en qualité des produits, en social, en dimension écologique, en qualité de vie. La négociation en cours sur le traité de libre échange transatlantique est une bataille de normes. Les nôtres s’inventent aujourd’hui dans la désindustrialisation de l’agriculture. Des normes de résistance positive.
C’est donc un énorme chantier qu’il faut ouvrir maintenant car, sous le temps long agricole, il faut du temps, et une vision, pour réorienter la Ferme sans provoquer de rupture de l’offre alimentaire. Pour ne pas regretter ces prochaines années les choix que l’on ne voudrait pas faire aujourd’hui. Du temps, une vision et du courage politique. Denrées rares.
http://www.globalmagazine.info/2016/02/24/lagriculture-malade-de-lindustrie-1456338967
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Gilles Luneau, rédacteur en chef de GLOBAL
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