Politiques agricoles, commerce international, souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire, ,…: un blog de Gérard Choplin

Archives de la catégorie ‘commerce international’

Politique agricole, géopolitique et souveraineté alimentaire : où va l’Europe ?

Mon intervention au colloque de la fondation Res Publica le 21 octobre 2021 à Paris

https://www.fondation-res-publica.org/

La Politique agricole commune de l’Union européenne, la PAC, va avoir 60 ans l’an prochain. A cette époque, en 1962, la toute jeune Communauté économique européenne a pu décider de sa politique agricole.

Bien entendu, en pleine guerre froide, juste après la construction du Mur de Berlin, elle n’a pu le faire sans le consentement des Etats Unis.

D’une part, les USA avaient besoin d’une Communauté européenne forte économiquement, donc d’une Politique agricole européenne forte, pour faire face au bloc soviétique et éloigner leurs citoyens de tentations communistes. D’autre part, le Rideau de fer avait coupé l’Europe de l’Ouest de ses greniers à blé traditionnels d’Europe centrale et de Russie.

La Communauté économique européenne a donc pu, avec cette première PAC, développer très vite sa production, se protéger des importations et subventionner des exportations croissantes. Les USA ont quand même pris soin de pouvoir nous exporter leur soja sans droit de douane, ce qui aura de lourdes conséquences en Europe sur les modes d’élevage et ses lieux de production.

Si la CEE a pu ainsi définir sa politique agricole en fonction de ses intérêts et contingences géostratégiques de l’époque, c’est parce que, depuis 1947, les règles du commerce international appliquées aux autres secteurs ne s’appliquaient pas à l’agriculture : les Etats puissants pouvaient en gros faire ce qu’ils voulaient en matière de droits de douane et de subventions.

S’agissait-il alors de souveraineté alimentaire de la part de la CEE ?

Pas vraiment, car si la souveraineté alimentaire, c’est le droit et la capacité politique et stratégique de définir sa politique agricole et alimentaire, c’est aussi, en même temps, le devoir de le faire sans nuire aux pays tiers et le devoir de le faire de manière durable sur le plan social et environnemental. C’est à la fois un droit, mais aussi deux devoirs.

Or la CEE, en se protégeant à l’importation et en subventionnant ses exportations, était déloyale vis-à-vis des pays tiers. Et le productivisme agricole boosté par la PAC s’est fait au détriment de l’environnement et a vidé les campagnes. Sans oublier que les montagnes d’excédents européens coûtaient très cher. Il fallait bouger.

Alors s’engagent en 1986 des négociations pour de nouvelles règles du commerce international, l’Uruguay Round, qui, cette fois, vont inclure l’agriculture. Tandis que les USA veulent freiner la concurrence à l’export de l’Union européenne, les pays tiers ne veulent plus du dumping européen et américain.

Et voilà que le Mur de Berlin tombe : le néolibéralisme peut se développer et devenir « la pensée unique ». Les Etats-Unis et l’Union européenne vont alors s’entendre sur le dos des pays tiers pour modifier les règles, tout en continuant à faire des exportations agricoles leur priorité. Mais les Etats-Unis, qui assurent toujours la sécurité stratégique de l’Europe, ont la main et l’Europe devra s’incliner. Sans pouvoir taxer les importations de soja, elle doit au contraire baisser ses droits de douane et ses prix agricoles.

C’était en 1992, il y a 30 ans.

La PAC, avec la réforme de 1992, s’en trouve profondément modifiée dans ses instruments, en lien avec l’accord UE-US de Blair house quelques mois plus tard, qui préfigure l’accord international signé à Marrakech en 1994 et qui crée l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les deux superpuissances agricoles de l’époque, USA et UE, imposent donc l’accord à tous les pays tiers : ce sont toujours les plus forts qui écrivent les règles. Des règles où l’on a remplacé les prix agricoles par des primes aux exploitations. Des règles qui leur permettent de blanchir leur dumping à l’exportation, au détriment des pays qui n’ont pas les moyens de subventionner leur agriculture.

A partir de 1992, ce sont donc ces règles du commerce international agricole qui formatent les politiques agricoles : au lieu de corriger les erreurs de la première PAC, de stopper le dumping et d’enrayer le productivisme, non seulement l’Europe ne remplit pas les 2 devoirs cités de la souveraineté alimentaire, mais elle perd le droit de définir le cadre de sa politique agricole.

La souveraineté alimentaire est donc incompatible avec les règles actuelles du commerce international.

Or, depuis 1992, on en est resté là : il y a bien eu encore 5 réformettes de la PAC, dont la dernière adoptée en juin dernier pour les années 2023-2027, mais sans changer les grandes lignes : pour caricaturer, on peint la locomotive en vert, mais on se garde de placer un aiguillage pour changer de direction.

Aujourd’hui, à quelques semaines de la conférence ministérielle de l’OMC à Genève, il n’est toujours pas question de changer profondément ces règles, qui datent pourtant du siècle dernier et sont incapables de répondre aux défis globaux d’aujourd’hui : pire, elles les aggravent.

La négociation de la dernière réforme de la PAC illustre bien les enjeux dans lesquelles l’Union européenne essaie de surnager.

En juin 2018, la Commission européenne présidée par Jean Claude Juncker propose une réforme de la PAC plus verte, mais sans grand changement de fond. C’est aux Etats membres, à travers leurs ministres de l’agriculture (le Conseil), et au Parlement européen de discuter, négocier et décider cette réforme.

Mais ils n’ont pas eu le temps de conclure avant l’élection du Parlement européen et la nomination de la nouvelle Commission européenne en 2019. La nouvelle Commission, présidée par Ursula Van der Leyen, lance le Green deal, une stratégie ambitieuse face au dérèglement climatique et à l’extinction de la biodiversité.

Le Green Deal comprend en particulier deux stratégies : « de la ferme à la table » et « biodiversité » et propose des objectifs chiffrés d’ici à 2030 tels que 25% de la surface agricole de l’UE en bio, 10% de la surface agricole en zone protégée, 50% de réduction des pesticides, 20% de réduction des engrais, 50% de réduction du recours aux antibiotiques dans l’élevage. La stratégie « De la ferme à la table » a été approuvée il y a deux jours par le PE.

Mais la réforme PAC proposée par la Commission Juncker un an avant ne va pas du tout aussi loin et son calendrier n’attend pas. Comme pour toute proposition législative européenne, elle se termine par un trilogue de négociation entre le Conseil agricole européen (ministres) et le Parlement européen, en présence et sous le contrôle de la Commission européenne. Ce trilogue a abouti le 28 juin dernier à un accord pour la prochaine PAC, en contradiction avec le Green deal.

La PAC ayant été largement renationalisée dans sa mise en œuvre, c’est aux Etats membres maintenant de définir les modalités d’application chez eux. A la fin de cette année, la France doit donc présenter son plan stratégique national d’application de la nouvelle PAC pour les années 2023-2027.

Alors le lobby agro-industriel s’active : il veut bien une petite couche de peinture verte supplémentaire, mais surtout pas d’aiguillage, et il s’emploie à maintenir la future PAC en dehors du Green Deal, qui n’a pas encore de base juridique.

Faut-il financer le développement de drones miniatures pour remplacer les pollinisateurs ou bien arrêter les pesticides chimiques ? Faut-il construire de gros méthaniseurs pour maintenir les élevages industrialisés ou bien ramener l’élevage à une taille humaine et à l’air libre ?

Les Etats membres, et la France en particulier, portent aujourd’hui une grande responsabilité en allant dans un sens ou dans l’autre.

Et pendant ce temps, comme disait Michel Serres, « la nature ne négocie pas ». Le « plus tard », celui où l’on a remis sans cesse les problèmes depuis 60 ans, eh bien il est arrivé.

Au rythme actuel de notre inaction, les + 1.5°c de l’accord de Paris sur le climat seront atteints dès 2029 et la moitié des espèces de plantes à fleurs sont menacées, faute de pollinisateurs (étude internationale du 13 octobre).

Alors où va l’Europe ?

L’Union européenne est le 1er exportateur alimentaire mondial et un des premiers importateurs : elle a donc toute légitimité pour initier une modification en profondeur des règles du commerce international agricole dans un sens plus solidaire et plus durable, mais le fait – elle ? Le fera – t- elle ?

Rappelons qu’en Europe, nous avons délocalisé une partie croissante de nos approvisionnements en protéines végétales pour nourrir les animaux, en fruits & légumes, en produits de la mer.  Aujourd’hui, l’UE est très dépendante des terres qu’elle exploite à l’extérieur :  principalement en Chine, devenu notre premier partenaire commercial, mais aussi en Russie, Brésil, Argentine. etc…

Rappelons aussi que notre agriculture est très dépendante des importations de phosphates, de gaz pour produire les engrais azotés, de machines agricoles, d’électronique,… et de pétrole pour les tracteurs.

Lorsque la 1e coopérative agricole française Agrial emploie 2000 salariés au Maroc pour produire notamment des tomates pour le marché français, s’agit-il d’une exportation marocaine et d’une importation française, ou bien d’une simple optimisation des coûts sociaux et environnementaux d’une firme multinationale ?

Lorsque les petites crevettes grises de la Mer du Nord, très prisées des Belges, partent en camion depuis Ostende jusqu’au Maroc pour y être épluchées par de petites mains pas chères, et qu’elles retournent en camion en Belgique, le PIB augmente, l’import/export aussi : alors, tout va bien ?

Pendant ce temps l’autoroute entre la Roumanie et l’Europe de l’Ouest, dont la construction a été financée par l’Union européenne, voit passer des camions chargés de pâte à pain congelée pour approvisionner nos supermarchés d’Europe de l’Ouest. Est-ce l’Europe que nous voulons ?

Une des questions centrales de la souveraineté alimentaire est de définir la juste place à accorder au commerce international agricole. Ni plus, ni moins.

Aujourd’hui, au nom de la compétitivité, alors que seulement 10% de la production mondiale est échangée, on aligne les prix de toute la production sur le moins disant social et environnemental et nos agriculteurs vendent trop souvent leurs produits à des prix inférieurs à leurs coûts de production.

Une absurdité institutionnalisée par la PAC depuis 1992, qui verse des aides directes pour compenser un peu ces prix trop bas. Mais comble de l’absurde, ces aides sont versées par hectare et non par actif, sont découplées à la fois de la production et du prix si bien qu’aujourd’hui, alors que le prix des céréales est élevé, les aides la PAC vont surtout aux céréaliers !!

Lorsque le prix du lait en Europe dépend de la météo ou de l’activité volcanique en Nouvelle-Zélande, il est temps de changer de PAC et de règles internationales. Une régulation des marchés agricoles européens pour stabiliser les prix et éviter des excédents structurels bradés à l’extérieur n’est hélas pas à l’ordre du jour mais une timide avancée a été décidée grâce au Parlement européen lors du trilogue de juin dernier.

La souveraineté alimentaire de l’Union européenne reste donc à conquérir. L’Europe est-elle prête à s’émanciper du parapluie américain, à faire sa place entre les USA et la Chine ?

2 exemples de la faiblesse géostratégique de l’UE et de ses conséquences sur notre politique agricole :

  • En 1984, j’accompagne une délégation paysanne syndicale française auprès du ministre de l’agriculture, Michel Roccard, pour plaider un rééquilibrage par le haut des droits de douane UE entre les céréales et l’alimentation animale (principalement le soja massivement importé des USA à droit de douane nul). La Commission européenne a proposé à plusieurs reprises une taxation, toujours rejetée par le Conseil des ministres. Michel Roccard, après avoir entendu notre plaidoyer nous dit : « Vous avez raison. Mais à chaque fois que le Conseil veut discuter très concrètement de cette taxe, les USA, toujours près des couloirs du Conseil, nous ont averti : si vous décidez cette taxe, nous retirons nos troupes de Berlin- Ouest ». J’ai compris ce jour-là que, tant que l’UE restera sous le parapluie de défense stratégique américain, elle ne pourra gagner son autonomie en protéines végétales. Ce qui s’est vérifié depuis.
  • En juillet 2018, le président des USA Donald Trump menace de taxer l’importation des voitures européennes (surtout allemandes). Angela Merkel prie alors J.C. Juncker de se rendre à Washington : en échange du retrait de cette taxe, les USA imposent à l’UE une forte augmentation de ses importations de soja en provenance des USA, ce qui s’est vérifié dans les mois suivants.

Aujourd’hui, malgré le fait qu’elle représente une puissance économique de premier plan, avec un haut pouvoir d’achat moyen qui attire les exportateurs des pays tiers, l’UE n’a pas de politique extérieure vraiment commune. Au contraire, sa faiblesse stratégique et ses divisions internes attirent les tentations de déstabilisation de l’extérieur.

Les deux dernières décennies ont vu se multiplier les accords bilatéraux dits de libre-échange, mais face aux problèmes globaux, la réponse ne peut être que multilatérale. Entre une Chine autoritaire qui veut retrouver son empire et les USA qui se préparent à court-circuiter l’ONU dans une « alliance des démocraties » qu’elle dominerait, l’Europe est en danger, mais que veulent ses citoyens ?

Mettre le commerce international à sa juste place pour changer de politique agricole

article paru dans Campagnes Solidaires, juin 2020 – dans le dossier :  Ce que l’on veut pour le monde d’après

Mettre le commerce international à sa juste place pour changer de politique agricole

Priorité au commerce local et régional pour assurer notre sécurité alimentaire. L’Union européenne, première importatrice et exportatrice alimentaire au monde, doit prendre l’initiative.

terralim

En ce mois d’avril, dans les ports du Vietnam, les cargos de poulets congelés américains stationnent en attendant la réouverture des ports chinois (1). En Sibérie, 33 000 ouvriers agricoles chinois manquent à l’appel et de l’autre côté du continent, des charters de saisonniers roumains sont affrétés pour tenter de sauver la récolte d’asperges allemande. Notre économie mondialisée à flux tendus de produits et de main-d’œuvre se « grippe » vite.

Nos gouvernants, qui n’avaient à la bouche qu’exportation, externalisation, délocalisation, optimisation, spécialisation, avantages comparatifs, nous abreuvent d’autonomie, d’indépendance, d’autosuffisance, voire de souveraineté alimentaire(2). Discours confus sans lendemain ou révolution des esprits ? « De tout temps, les plus grandes remises à plat ont résulté des chocs les plus sévères ». (3)

Il faut dire que le commerce international agricole marche sur la tête et pourrait nous jouer des tours dans les prochains mois. Ses règles, qui datent de 1994 (création de l’OMC, Organisation mondiale du commerce) et formatent notre Politique agricole commune (4), favorisent les exportations/importations et défont les mesures de sécurité alimentaire comme la constitution de stocks ou la régulation des marchés. Importer du soja du Brésil, transformé en porc dans de grands élevages danois surendettés, puis exporté au Japon en laissant le lisier sur place, est un non-sens qui produit beaucoup d’externalités négatives et de fragilité économique. Mondialiser les prix agricoles à des niveaux inférieurs aux coûts de production et verser des sucettes aux paysan ·nes pour qu’ils continuent à produire quand même a été criminel.

L’heure est venue d’en tirer les leçons : mettre le commerce international à sa juste place, ni plus, ni moins, pour changer les priorités de la Pac et garantir la sécurité alimentaire de manière souveraine, restaurer la biodiversité, enrayer l’emballement climatique et faire vivre nos terroirs ruraux riches de leurs paysan·nes et de leurs produits : voilà le chantier politique. Comment faire, alors que le multilatéralisme semble à l’agonie ?

L’Union européenne, première importatrice et exportatrice alimentaire au monde, doit prendre l’initiative, le commissaire au Commerce Phil Hogan, encore droit dans ses bottes, dût-il avaler son chapeau. L’alimentation est trop vitale et stratégique pour la laisser entre les mains des traders.

Priorité donc au commerce local et régional pour assurer notre sécurité alimentaire, et laissons au commerce international le rôle d’échanger des produits régionaux spécifiques et à haute valeur ajoutée pour les producteurs et productrices.

Une autre Pac

Faut-il encore qu’il reste des paysans et des paysannes en Europe pour produire ! Pour cela, les prix agricoles doivent payer les coûts de production et le travail, ce qui suppose de maîtriser la production européenne et de fixer des droits de douane variables aux frontières de l’UE, au niveau du coût de production durable moyen dans l’Union. En échange, toute exportation à un prix inférieur à ce niveau serait taxée. C’est l’une des bases de la souveraineté alimentaire : pas de protection sans mettre fin au dumping.

La grande partie du budget actuel de la Pac, consacrée aux aides sucettes à l’hectare, serait libérée pour soutenir, dans des proportions à discuter :

  • les exploitations durables des zones défavorisées (coûts de production plus élevés),
  • la transition agroécologique des fermes,
  • les transitions vers des circuits courts généralisés,
  • la restauration collective bio et locale,
  • la consommation alimentaire des plus pauvres,
  • la constitution de stocks européens de sécurité pour les produits de base.

Si toutefois l’UE, malgré les défis actuels, n’arrive pas à impulser de nouvelles règles du commerce international, alors elle devra mettre en œuvre unilatéralement les mesures proposées. Elle ne serait pas la première à oublier les vieilles règles de l’OMC !

Ces mesures ne suffiront pas bien sûr si, entre autres, on n’arrête pas le dumping fiscal, social, et environnemental entre États membres, si on ne modifie pas les règles de la concurrence et si on n’engage pas une politique structurelle en faveur des petites et moyennes exploitations.

Chiche ?

Gérard Choplin

(1) Arc2020.eu – 9/4/2020.

(2) Emmanuel Macron – intervention télévisée du 12/3/2020.

(3) Walter Scheidel – cité par Le Monde Diplomatique –4/2020 – p. 21.

(4) Accord GATT/OMC de Marrakech – voir chapitre VI – Paysans mutins, paysans demain – G. Choplin – 2017.

Marché intérieur, marché unique, ou marché … inique ?

D’après un texte écrit pour une réunion de la Coordination européenne Via Campesina en janvier 2020.

colis

 

Quelques nouvelles de la circulation

  • Un flux de camions entre la Belgique et la Roumanie intrigue les boulangers : on dit qu’ils transporteraient la pâte à pain congelée depuis la Roumanie pour alimenter les supermarchés belges.
  • Mais d’où viennent les fruits rouges des yaourts Danone vendus en France ou ailleurs ? Il semble que ce ne soit pas écrit sur l’étiquette. Viendraient-ils de Pologne ?
  • Été 2014 : les pêches espagnoles arrivent sur le marché espagnol à 1,10€ le kilo mais le surplus est vendu en France à 0.57€. Les salaires des saisonniers sont plus bas en Espagne qu’en France, où le coût de production est de 1.40€. La production française est divisée par 3 en 15 ans.
  • Le trafic est dense sur les autoroutes est-ouest et sud-nord de l’UE. Les fonds structurels de l’UE ont largement contribué au financement des infrastructures de transport routier, maritime, …
  • Vous avez dit … local ?

Un peu d’Histoire

Décembre 1986, Madrid : conférence de la Coordination paysanne européenne sous le titre : « paysans européens concurrents ou solidaires ? ». Où en-est-on 33 ans plus tard ?

En 1962, la Politique agricole commune est créée : les denrées agricoles circulent librement dans le « Marché commun ». Pour les produits agricoles importants des 6 pays fondateurs de la CEE, des prix d’intervention (de l’UE sur les marchés) garantis sont établis, avec des droits de douane élevés pour les produits importés. Ce n’est pas le cas pour d’autres productions, comme les fruits & légumes frais, le porc, la volaille. A partir de la réforme PAC de 1992 et l’accord OMC, les prix agricoles européens vont diminuer et s’aligner sur des cours mondiaux de plus en plus volatils, et les droits de douane fortement diminuer.

1979 : l’arrêt dit du « cassis de Dijon » de la Cour de Justice UE déclare que les articles produits conformément aux dispositions légales d’un état membre de l’UE peuvent généralement être vendus dans d’autres États membres.

Avec le traité de Maastricht (1992), nous passons du « marché commun » au « marché unique » ; on étend la libre circulation à tous les secteurs de l’économie : biens, capitaux, services, personnes. Ce sont les 4 libertés du « marché intérieur » européen.

Dans le même temps, après la chute du Mur de Berlin et l’accélération du néolibéralisme, la mondialisation des marchés va diluer les frontières de ce marché unique tout juste créé. L’espace de jeu des grandes firmes, ce n’est plus l’Europe, c’est le monde.

L’intégration en 2004, sans transition, des pays d’Europe Centrale dans l’Union européenne, va considérablement accroître les disparités sociales entre Etats membres et augmenter fortement les distorsions de concurrence.

L’Union européenne est bancale : les produits y circulent librement, les prix agricoles y sont libres, mais les conditions sociales (et fiscales) n’y sont pas harmonisées, malgré l’objectif affiché de l’UE de cohésion entre ses territoires. Pire, … le traité européen (TFUE), dans son article 153, interdit toute harmonisation sociale !!… La Charte des droits sociaux intégrée au Traité ne veut pas dire harmonisation.

Il faut dire que ce sont les grandes firmes européennes qui ont inspiré[1] des chapitres entiers du traité de Maastricht : quelle aubaine lorsque vous pouvez jouer sur les différences salariales, sociales et fiscales entre pays et faire circuler librement vos produits !

En 2004, l’Europe Centrale est devenue ainsi un terrain de jeu très lucratif pour y délocaliser les productions et pour y chercher une main d’œuvre très bon marché. Mais ce jeu ne se limite pas à cette région : il est intrinsèquement lié à notre système économique, y compris à l’intérieur des Etats membres : la recherche du plus bas coût d’approvisionnement n’a pas d’état d’âme.

Délocalisations, concentrations 

Aujourd’hui, le marché intérieur est devenu une immense fourmilière de camions, bateaux, trains transportant des produits dans tous les sens, profitant d’un trop faible coût du transport. Plus loin veut trop souvent dire moins cher. Des camions de lait liquide font ainsi des milliers de km entre Etats membres.

Quelques exemples de délocalisation/concentration des productions agricoles dans l’UE :

  • les productions animales intensives se sont déplacées depuis le début de la PAC vers les zones maritimes près des ports d’importations du soja, à droit de douane nul depuis 1962. Les autres régions, pourtant riches de produits du terroir, ont vu leur production animale diminuer.
  • dans la région espagnole de Huelva, la fraise était inconnue il y a 40 ans. Aujourd’hui, on y cultive 80% des fraises espagnoles, en monoculture intensive, avec l’emploi de 15.000 saisonnières immigrées, dans des conditions de travail « préoccupantes[2]».
  • en France, une région agro-climatiquement adaptée à la culture légumière, le Cotentin, est détrônée par des cultures plus au sud, comme dans les Landes, sur des terres pauvres, à coup d’irrigation et d’engrais.
  • les modalités des primes PAC ont favorisé la concentration de la production céréalière dans les régions les plus riches agro-climatiquement et dans des exploitations toujours plus grandes, au détriment de régions moins favorisées et des petites et moyennes exploitations. On peut parler ici de dumping économique et de concurrence déloyale sur le foncier.

La passoire, instrument indispensable de la cuisine néo-libérale

Avec ses 510 millions de consommateurs, le marché intérieur de l’Union européenne peut être considéré comme le plus grand marché au monde. Notre marché européen n’est plus vraiment intérieur, ni plus vraiment unique. Depuis les années 1990, il s’est dissous dans la mondialisation des marchés agricoles, avec abaissement tous azimuts des droits de douane lié aux accords commerciaux internationaux (OMC) et régionaux ou bilatéraux. Les producteurs européens ne sont donc plus seulement mis en concurrence entre eux mais avec des producteurs hors UE.

Le secteur UE des fruits & légumes, par exemple, est de plus en plus déficitaire :  des firmes européennes délocalisent la production hors de l’UE pour profiter d’une main d’œuvre très bon marché en Afrique du Nord, en Turquie, en Afrique, Amérique Latine, Asie. Par exemple, la plus grande partie de la production de cornichons a été délocalisée en Inde.

Ce dumping social, qu’on appelle « avantage comparatif » dans la langue libérale, est un moteur- clé du commerce actuel. Lorsque vous allez produire des tomates au Sahara, des haricots verts au Burkina Faso, des pommes de terre en Egypte, sans parler des fleurs du Kenya, vous avez besoin de « rapatrier » ces produits sans droit de douane vers l’Europe. C’est ainsi que l’UE essaie d’imposer aux pays africains un accord dit de « partenariat » économique (APE), qui supprimerait beaucoup de droits de douane dans les deux sens. Produire où c’est le moins cher pour vendre où le pouvoir d’achat est élevé, voilà la recette, avec une passoire commerciale aux mailles les plus larges possibles.

passoire

Etats membres et business créent et jouent avec les distorsions de concurrence

En donnant de plus en plus de marges de manœuvre aux Etats membres depuis 2003, la Politique agricole commune favorise des distorsions de concurrence suivant que les producteurs sont plus ou moins soutenus. Très souvent l’aval argue des primes PAC pour baisser ses prix d’achat aux producteurs (l’aval empoche ainsi les primes PAC). C’est l’un des enjeux de la future PAC post 2020, où les plans stratégiques nationaux risquent d’être très différents suivant les états membres, renforçant les distorsions. Certains Etats membres pourraient être tentés, pour gagner des parts de marché dans d’autres Etats membres, de faire du moins-disant environnemental à travers des éco-dispositifs très réduits, tandis que d’autres Etats membres pourraient chercher à se positionner sur un marché de produits de qualité, avec des éco-dispositifs plus importants.

Comment défendre le revenu des producteurs et relocaliser les productions dans un tel contexte ? 

paysans en colère

Quelques pistes de discussion:

  • harmoniser par le haut les législations sociales dans l’UE, mais cela est contraire au traité actuel de l’UE, qu’il faut d’abord modifier. Certains proposent de commencer par un accord entre France, Allemagne, Italie, Espagne (+ de 70% du PIB de la zone euro) auxquels les autres Etats se rallieraient ensuite.
  • utiliser la « clause de sauvegarde »: en 2016, la France a décidé unilatéralement d’interdire, pour des raisons de santé, le diméthoate, insecticide utilisé dans la production de cerises, et d’interdire l’entrée sur son territoire de cerises traitées. Pour garder l’accès au marché français, la plupart des autres pays producteurs se sont alignés en quelques semaines sur la décision française, aboutissant, une fois n’est pas coutume, à une harmonisation par le haut[3]. La clause de sauvegarde est activée également par plusieurs Etats membre pour interdire la culture d’OGM. Cette clause pourrait-elle être utilisée pour protéger le revenu paysan face aux distorsions de concurrence ?
  • réformer la directive sur les « travailleurs détachés », qui permet à des firmes d’une Etat membre ayant des cotisations sociales plus faibles d’employer des salariés dans un autre membre en gardant les cotisations sociales du pays d’origine. C’est le cas aujourd’hui des firmes de transport par camions, dont le marché est aujourd’hui dominé par des firmes d’Europe centrale, parfois seulement des boîtes aux lettres de firmes d’Europe de l’Ouest.
  • Modifier les règles UE pour les marchés publics, pour pouvoir donner la priorité aux produits locaux pour la restauration collective.
  • Établir une taxe kilométrique qui renchérit les transports à l’intérieur de l’UE et les produits importés, afin de favoriser les produits locaux.
  • Établir des prix minimums garantis, tenant compte des coûts moyens d’une production durable dans l’UE, auxquels l’aval achète les produits. Cela ne peut se faire sans une régulation des quantités mises sur le marché européen.
  • Taxer les produits agricoles venant de pays hors UE qui seraient importés à des prix inférieurs à ces prix minimums.
  • Imposer la transparence des marges tout au long des filières alimentaires, à partir d’observatoires européens sectoriels des coûts, prix et marges.
  • Adopter une loi antitrust pour stopper la concentration de l’aval (centrales d’achat, agro-industrie, …).
  • …..

De la fourche à la fourchette : un espoir ?

La Commission européenne présentera au printemps 2020 une nouvelle stratégie pour une « politique alimentaire intégrée » de la « Fourche à la fourchette ».  Elle comprendra des volets environnementaux, de réduction du gaspillage alimentaire, de santé, mais aussi des objectifs en matière de revenu agricole, d’installation, …

Pour Olivier de Schutter, co-président du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food), « les agriculteurs n’adopteront pas des pratiques culturales plus vertueuses s’ils ne se voient pas garantir de meilleures opportunités d’écouler leur production, à des prix rémunérateurs, et s’ils ne sont pas protégés d’une concurrence déloyale de produits importés. Les consommateurs n’adopteront pas d’un seul coup des régimes alimentaires sains et durables sans des actions d’envergure pour que ces régimes soient faciles et abordables, et sans que l’on protège le public d’allégations trompeuses sur les bienfaits pour la santé des produits alimentaires. Et la pauvreté alimentaire ne sera pas combattue en perpétuant l’économie alimentaire low cost qui a trahi les consommateurs pauvres, tout en imposant des coûts considérables à la santé des mangeurs comme à l’environnement[4] ».

Cette stratégie semble en décalage avec la réforme timide de la PAC post 2020 proposée par la Commission en 2018 et en cours de négociation finale au moment du lancement de cette nouvelle stratégie.

Gérard Choplin, janvier 2020

[1] Voir le film « Brussels business » sur youtube- disponible dans plusieurs langues

[2] Étude du PE – « l’emploi agricole dans l’UE – défis et perspectives d’avenir » – 2019

[3] Voir Campagnes solidaires n° 327- avril 2017 – page VII

[4] https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/opinion/avec-sa-strategie-alimentaire-%e2%80%89de-la-fourche-a-lassiette-lue-est-elle-enfin-a-lecoute-de-ses-citoyens%e2%80%89/

 

Bastille 1789, Berlin 1989, Seattle 1999, … on veut du 9 !

Article publié dans « Campagnes solidaires » – n° 356- décembre 2019

2O ans après « la bataille de Seattle »[1] contre l’OMC[2], la ville est calme : les firmes Microsoft, Boeing, Starbucks s’y épanouissent, déplaçant pertes et profits au gré des fiscalités nationales. Le président des Etats-Unis Bill Clinton avait choisi ce grand port du commerce transpacifique pour accueillir la conférence ministérielle de l’OMC. C’était sans compter sur les 40.000 manifestants[3] venus protester contre le symbole de la mondialisation néolibérale. Leur détermination, visible sur les écrans du monde entier, autorisèrent les gouvernements de nombreux pays du Sud à dire non aux Etats-Unis et à l’Union européenne, qui avaient pris l’habitude d’écrire les règles du commerce international.

Seattle-1999

manifestation contre l’OMC à Seattle – 30 novembre 1999

L’OMC ne s’est jamais remise de cet échec. Les Etats, incapables depuis de s’entendre sur de nouvelles règles, continuent de s’appuyer sur celles de 1994[4] pour définir leurs politiques agricoles, tandis que les plus puissants, dont l’UE, tirent leur avantage dans des accords bilatéraux ou bi-régionaux où le rapport de forces est favorable à leurs grandes entreprises.

La bataille de Seattle a marqué la naissance de l’altermondialisme, après 15 ans de développement du néolibéralisme mondial sous la houlette de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux USA, accéléré par un évènement majeur survenu en Europe.

Il y a 30 ans en effet, au soir du 9 novembre 1989, la police est-allemande laissait, sans intervenir, une foule enthousiaste détruire le mur de Berlin, construit en 1961 pour empêcher les habitants de Berlin-Est de fuir à l’Ouest. Le régime soviétique s’effondrait comme un château de cartes, signant la fin de la Guerre froide et faisant croire à certains à la « fin de l’Histoire ». La théologie néolibérale, avec le Marché comme dieu unique, s’est imposée alors comme un mantra idéologique ressassé par les gouvernements, les universités, l’UE… aujourd’hui encore.

200 ans après la Révolution française, une nouvelle bastille était tombée. Que dire de celles d’aujourd’hui ? Sont-elles encore si solides que nous n’osons les prendre ? Malgré le coût social et environnemental gigantesque du productivisme, malgré la catastrophe climatique et l’extinction biologique en cours, malgré des inégalités intolérables dignes de l’Ancien régime, nos nouveaux maîtres, souvent plus puissants que les Etats, se déploient impunément, faisant main basse sur nos données, notre identité, … notre agriculture. Ce sont eux les plus « radicalisés »[5], porteurs de violence sociale mortifère, comme le montre Edouard Bergeon[6] .

Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre, nous disait Einstein. L’idéologie néolibérale rend aveugle et sourd. Alors, de la France au Chili, au Liban, à l’Algérie, Haïti, et autres pays où les 99% ne supportent plus l’accaparement des richesses et du pouvoir par les 1%, la rébellion gronde, encore dispersée.

A Johannesburg en 2002, le président français Jacques Chirac osa dire la vérité sur les enjeux climatiques et sociaux et appelé à un Conseil de sécurité économique et social à l’Onu ainsi qu’à une Organisation mondiale de l’environnement. Puis il s’empressa de n’en rien faire. Face à l’inaction des gouvernements, la jeunesse, la plus légitime pour parler au nom de notre espèce humaine en danger, se lève.

« Les enfants parlent, plaident, réclament. Les mûrs auront-ils des oreilles[7] ? ».

Pour sortir par le haut du désastre en cours, la convergence des mobilisations contre les inégalités sociales et contre le péril climatique est indispensable.

Alors, pour ne pas rejouer à … 39, n’attendons pas dix ans pour faire du neuf !

Gérard Choplin

[1] du 29 novembre au 4 décembre 1999- voir « 4 days in Seattle » – youtube –

[2] Organisation mondiale du commerce, créée en 1995 après l’accord sur le commerce international de 1994

[3] Syndicalistes et jeunes activistes américains, associations environnementales, paysan-ne-s de Via campesina

[4] Accord GATT/OMC signé à Marrakech en avril 1994

[5] Aurélien Barrau, France Inter – la Terre au carré – 11 octobre 2019

[6] Dans le film «  Au nom de la terre »

[7] François-Xavier Druet – « Fichtre ! voilà que les enfants parlent! » –  La Libre Belgique – 9/10/2019

Lait: n’exportons pas nos problèmes

Cliquer pour accéder à Dossier_campagnelait_web_complet.pdf

(dossier réalisé pour SOS Faim et Oxfam Solidarité dans le cadre de la campagne: « n’exportons pas nos problèmes »)

Surproduction de lait : ici et ailleurs, les éleveurs boivent la tasse.

 Renforcer la filière locale et équitable de produits laitiers  en Afrique de L’Ouest  nécessite de revoir les politiques européennes.

africaine-RGB-e1551350464804-539x303

« Tu n’es pas un producteur laitier, tu es un vendeur de lait en poudre », dit un jeune propriétaire de laiterie de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) lorsqu’il salue un producteur allemand en visite[2]

Korotoumou Gariko (micro-laiterie, Burkina-Faso) : « Notre politique prend une mauvaise direction. Les échanges commerciaux de lait ne se déroulent plus que sur le marché mondial. Le Burkina Faso met ainsi sa propre alimentation en jeu. Il faudrait une politique qui promeuve l’ensemble du secteur laitier afin que tous les producteurs puissent accroître leur production et obtenir un bon prix. Cela ne peut pas fonctionner si les importations de lait en poudre bon marché en provenance d’Europe nous font concurrence ».[3]

Johannes Pfaller, producteur allemand du BDM[4] : « Nous ne voulons pas que nos problèmes soient exportés. L’Europe doit entreprendre quelque chose pour gérer les volumes. Celui qui empêche d’autres pays de se développer, entrave son propre développement ».

soya

Introduction

En Afrique de l’Ouest, les producteurs de lait, qui appartiennent aux catégories de population parmi les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest, sont confrontés aux importations croissantes de poudre de lait européenne, moins chère que leur lait local. Cette poudre est de plus en plus souvent mélangée à de l’huile de palme, encore moins chère. La plupart des producteurs européens, qui font face à un prix du lait mondialisé trop bas, n’en profitent pas et sont  en difficulté. Les politiques agricoles et commerciales de l’Union européenne (UE) favorisent cette évolution, souvent en contradiction avec les objectifs de sa politique de développement.

Comment modifier les politiques agricole et commerciale de l’UE, les pratiques de ses firmes laitières, et les politiques laitières, fiscales et tarifaires d’Afrique de l’Ouest pour trouver un bon équilibre dynamique entre les différentes composantes d’un marché laitier ouest-africain en pleine expansion, entre les importations et le lait local ?

Producteurs de lait européens et africains doivent pouvoir vivre dignement de la vente de leur production, en valorisant durablement les immenses territoires herbagers et pastoraux qui existent dans ces deux régions. Ce sont des enjeux de sécurité alimentaire, de nutrition, de santé publique, de lutte contre la pauvreté, d’emploi et d’environnement auxquels il faut répondre.

Il est possible, en modifiant les politiques européennes, africaines, et les pratiques des firmes laitières, de favoriser le développement d’une filière laitière locale, durable et rémunératrice en AO au service des populations rurales et urbaines.

Des producteurs et des associations, ici et là-bas, y travaillent. Vous trouverez à la fin de ce dossier des recommandations, principalement adressées aux décideurs politiques européens[5], pour modifier les politiques européennes en traçant des perspectives de justice économique, sociale et environnementale en Afrique de l’Ouest comme en Europe.

  1. La filière laitière locale d’Afrique de l’Ouest : atouts et contraintes

Production et consommation

Environ 60% de la population active d’Afrique de l’Ouest, sur une population totale de 370 millions d’habitants, vit de l’élevage et de l’agriculture. Dans la zone sahélienne (Niger, Tchad, Mali, Burkina-Faso, Mauritanie), le pastoralisme et l’agro-pastoralisme sont un pilier de l’économie. Même si la production de viande est souvent le revenu principal des éleveurs, la production et la commercialisation locale de lait (vaches[6], chèvres, brebis[7], chamelles) occupe une place importante.

Les femmes sont au cœur de l’économie laitière locale, de la production à la commercialisation, apportant un revenu régulier aux familles.

En moyenne, une vache produit de 2 à 3 litres par jour, contre 25 à 35 litres en Europe. La très faible partie du lait (environ 1.5% – 60 millions de litres) qui n’est pas autoconsommé par les familles ou vendu sur place est transformée dans une centaine de mini-laiteries (de 30 à 500 litres par jour) et dans une vingtaine de laiteries industrielles qui utilisent aussi du lait en poudre importé. Seules deux laiteries industrielles n’utilisent que du lait local, la laiterie publique de Fada N’Gourma au Burkina Faso et la laiterie Tiviski en Mauritanie.

La production, qui a augmenté de plus de 50 % entre 2000 et 2016, atteint aujourd’hui 4 milliards de litres de lait trait. Ce lait local couvre environ 60% de la consommation d’Afrique de l’Ouest, avec de fortes disparités entre les pays (72% au Burkina Faso, 33% au Sénégal) : le reste est importé sous forme de poudre de lait et de mélange réengraissé en matières grasses végétales (mélange MGV) provenant principalement des firmes laitières de l’Union européenne.

La consommation de lait est encore faible à 23kg en moyenne par an[8], mais en forte augmentation, en parallèle du boom démographique et de la croissance économique. En 2050, ce seront 800 millions d’habitants (dont la moitié au Nigéria) que l’Afrique de l’Ouest devra nourrir. L’urbanisation croissante – 50% de la population aujourd’hui, 62% au rythme actuel en 2030- augmente la demande en produits laitiers bon marché pour la population pauvre et en produits plus élaborés pour la classe moyenne en développement. Dans la ville de Bamako, par exemple, 90% du lait consommé provient de poudre.

On estime que la collecte industrielle locale fait vivre actuellement de 15 à 20.000 familles d’éleveurs en Afrique de l’Ouest ; pour les mini-laiteries et le marché informel, ce sont des centaines de milliers de familles. Les systèmes locaux de collecte et les mini-laiteries peuvent assurer un prix équitable aux producteurs, mais concernent encore des volumes limités de lait.

Atouts

« Le lait en poudre, c’est du lait mort alors que le lait local est vivant… On a un potentiel énorme de production, il nous faut juste une bonne politique. » Ibrahim Diallo, Président de l’union nationale des mini-laiteries et producteurs de lait (UMPLB) du Burkina Faso.[9]

Les chiffres parlent : étant donné la croissance démographique et l’urbanisation, la demande quantitative en produits laitiers ne pourra être satisfaite entièrement par la production locale : l’Afrique de l’Ouest continuera d’importer de la poudre de lait à court et moyen terme. Mais ce marché très porteur est aussi un atout pour la production locale, dont le potentiel d’augmentation est important, à condition que les politiques menées ne favorisent pas l’importation de poudre et investissent dans la production, la collecte, et la transformation de ce lait local. D’autant plus que la demande est aussi qualitative et nutritionnelle, à laquelle le lait local peut davantage répondre.

En dépit de la faiblesse des appuis publics, la filière lait local, agit, innove et se développe, améliore la collecte, la transformation… Mais ces initiatives, qui disposent d’un fort potentiel, manquent de soutien pour se développer pleinement.

Depuis 2015, par exemple, la « Plateforme d’innovation lait de Banfora » (PIL-B)[10] au Burkina, permet aux productrices de partager la gouvernance de la filière et de se libérer de la vente de porte à porte. Elle se heurte cependant actuellement à des problèmes de ressources en eau et de vétusté des installations[11].

La valorisation économique des zones pastorales et agro-pastorales, la génération d’emplois ruraux diversifiés dans la filière, la réduction de la pauvreté rurale et donc de l’exode, la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population, sans oublier la réduction de la dépendance alimentaire de l’Afrique de l’Ouest et la stabilisation sociale de la région sont autant d’enjeux face auxquels la production laitière locale a de bons atouts.

Contraintes

Rachid Ouédraogo, responsable de la laiterie de Fada N’Gourma : « Le principal défi à relever est l’augmentation de la capacité de collecte. A l’implantation de la laiterie, il a été défini une ceinture de collecte qui a un rayon d’action de 50 km. Mais au-delà de cette ceinture, il faut avoir un matériel adéquat pour pouvoir ramener le lait de façon convenable au niveau de la laiterie »[12]. En 2017, cette laiterie luttait pour sa survie[13] face à la concurrence du lait importé.

En plus de la concurrence avec les importations de poudre, dont nous traiterons plus loin, la production locale fait face à des contraintes importantes, qui freinent son développement :

  • La productivité laitière des élevages est faible, en particulier du fait de leur orientation « viande » et des difficultés à alimenter correctement le bétail toute l’année.
  • L’enclavement, avec difficulté d’accès aux marchés laitiers, aux services, le manque d’infrastructures, d’électricité, entravent la collecte et la chaîne du froid : le lait est un produit bien plus fragile que la poudre, surtout en région tropicale[14]. Les laiteries ont souvent des capacités supérieures à la quantité de lait qu’elles peuvent actuellement collecter dans de bonnes conditions.
  • L’expansion des villes et l’intensification des zones agricoles rendent plus difficile l’accès au foncier et à l’eau des systèmes pastoraux et provoquent parfois des conflits.
  • La capacité de capitalisation des éleveurs est faible.
  • Le manque d’encadrement sanitaire des troupeaux augmente les risques de baisse de production et de revenu.
  • Le climat ne facilite pas l’approvisionnement régulier de la filière laitière, alors que la poudre de lait est disponible en permanence. Le réchauffement climatique, qui aggrave les sécheresses de la zone sahélienne ainsi que les évènements météorologiques extrêmes et tend à déplacer cette zone vers le sud, pourrait contrecarrer le développement de la production.
  • Beaucoup de sols de la région sahélienne sont pauvres, manquant de matière organique, ce qui diminue le potentiel de production de fourrages et d’aliments pour le bétail, d’où l’importance d’une agriculture mixte. Certaines régions souffrent d’un surpâturage lié à une trop forte densité d’animaux à faible rendement.
  • La collecte se heurte à un réseau souvent insuffisant, à son coût, à la saisonnalité du lait.

Le développement de la production, souvent calqué sur le modèle européen de modernisation (races laitières, insémination, …) doit préserver la diversité innovative des modes locaux de production animale, pastoraux et agropastoraux.

Si la situation et les politiques actuelles perdurent, plus de la moitié des éleveurs de la zone sahélienne seront ou resteront en-dessous du seuil de pauvreté[15], accentuant l’exode rural et diminuant ainsi les capacités de production laitière pastorale. Or l’élevage pastoral est le seul à-même de valoriser ces territoires.

Dans les grandes villes, où l’accès au lait local est plus difficile, l’habitude de consommer des produits à base de poudre, toujours disponible, peut devenir ou est déjà une norme gustative et culturelle, délaissant ainsi le lait local. S’il existe une certaine segmentation des deux marchés, les habitudes alimentaires peuvent bouger relativement vite, dans les deux sens.

Toutes ces contraintes ne seront pas surmontées sans une véritable politique laitière en Afrique de l’Ouest, qui donne la priorité à la production locale.

  1. Les exportations européennes vers l’Afrique de l’Ouest

Forte croissance des exportations de l’UE vers l’Afrique de l’Ouest

L’Union européenne produit de plus en plus de lait : avec près de 145 millions de tonnes en 2018, elle est le 1er producteur mondial, devant l’Inde et les USA, et le 1er exportateur. La production mondiale – 818 millions de tonnes en 2016- progresse au même rythme que la population mondiale. L’essentiel de la production étant consommé sur les marchés internes, le marché mondial ne représente qu’une faible part de la production mondiale (9%). Mais l’UE exporte une part de plus en plus grande de sa production (6% en 2007, 12% aujourd’hui), principalement des fromages, du beurre et des poudres de lait.

La Nouvelle Zélande ne produit que 3% de la production mondiale mais exporte 95% de sa production, soit environ un tiers du marché mondial (mais 56% de la poudre de lait entier et 60% du beurre). Le prix mondial est de fait indexé sur la météo et le coût de production – beaucoup plus bas- de Nouvelle-Zélande.

3 grands pays exportateurs de poudres de lait (non inclus le mélange MGV) dominent le marché :

Exportation poudres 2018 UE NZ USA
En tonnes 1.765.863 1.755.568 1 .187.813

Milk market observatory – UE

Les exportations de l’UE sont en augmentation constante depuis que l’UE a cessé de réguler sa production en 2015 (voir paragraphe 6).

2016 2017 2018 2018/2016
Total poudres de lait exportés par l’UE – en tonnes 960.705 1.172.861 1.167.722 + 21,5%
Export mélange engraissé MGV – en tonnes 760.541 743.831 797.453 +4.9%

Eurostat – Jacques Berthelot

L’Afrique du Nord et l’Asie en sont les principaux destinataires, loin devant l’Afrique de l’Ouest. En 2018, l’UE a exporté vers l’Afrique de l’Ouest 92.620 tonnes de poudres de lait et 276.892 tonnes de mélange MGV (+24% depuis 2016). Le tableau ci-dessous montre que les exportations de poudres de lait vers l’Afrique de l’Ouest ne représentent qu’une faible part (8%), en baisse, ce qui n’est pas le cas pour le mélange MGV (35%), en hausse.

Export UE vers l’Afrique de l’Ouest 2016 2017 2018 2018/2016
Poudres de lait  (tonnes) 93.360 98.258 92.620 0 %
Mélange réengraissé   MGV  223.326 258.621 276.892 + 24%
%  poudre de lait UE exportée vers Af. Ouest 9.7% 8.4% 7.9% – 18.5%
% mélange MGV UE exporté vers Af. Ouest 29.4% 34.8% 34.7% + 18%

Eurostat – Jacques Berthelot

La plus grande part des exportations vers la CEDEAO provient d’Irlande, Pays-Bas, Pologne, Belgique, France (2018 – Eurostat) .

L’Afrique de l’Ouest importe également, en bien moindre quantité, de la poudre de lait d’Argentine, de Nouvelle-Zélande, …

Les importations de poudres de lait + mélange MGV ont représenté en 2018 un coût de 685,3 millions d’euros[16] pour l’Afrique de l’Ouest. La poudre de lait est importée le plus souvent sous forme de sacs de 25kg bénéficiant du tarif extérieur commun (TEC) très faible de 5% commun à la CEDEAO[17], tandis que le TEC pour le mélange MGV est de 20% La poudre est réensachée sur place en plus petits conditionnements, puis souvent en micro-dosettes très bon marché pour le consommateur.

L’UE prévoit d’augmenter encore sa production et ses exportations

L’UE prévoit une augmentation de sa production laitière de 0,8% par an jusqu’en 2030, où elle produirait 182 millions de tonnes, dont 25% d’export. Elle pourrait couvrir ainsi 35% de la demande mondiale en 2019-2030[18]. Alors que sa consommation intérieure stagne, l’UE choisit ainsi de miser de plus en plus sur le marché mondial. Elle veut rivaliser avec la Nouvelle-Zélande, qui a des coûts de production beaucoup plus bas et détermine le prix mondial, mais qui ne peut étendre sa production, son petit territoire étant confronté à des problèmes environnementaux liés à la surcharge d’animaux.

Implantations des laiteries européennes en Afrique de l’Ouest

Les industries laitières européennes s’intéressent depuis une trentaine d’années au marché laitier de l’Afrique de l’Ouest, plus activement depuis les 10 dernières, et leurs implantations se sont accélérées depuis la fin des quotas dans l’UE en 2015, afin de trouver de nouveaux débouchés à leurs excédents croissants de poudre de lait. Pour elles, l’AO est actuellement encore un petit marché : l’Algérie, l’Egypte, l’Asie, le Moyen-Orient sont de plus gros clients. Mais elles « lorgnent sur l’Afrique de l’Ouest »[19] , parce que c’est un marché d’avenir, étant donné son boom démographique, et veulent s’y placer en bonne position par rapport aux firmes concurrentes européennes ou d’autres continents.

Toutes les multinationales laitières européennes sont présentes en Afrique de l’Ouest, comme Lactalis (France), Arla Foods (Danemark), Nestlé (Suisse), Friesland-Campina (Pays-Bas), Danone (France), DMK (Allemagne), Glanbia (Irlande), Sodiaal (France), Milcobel (Belgique), …. sous forme d’acquisitions de firmes locales, de joint-ventures, de vente de licences ou de franchises. La plupart des investissements consistent en des usines de reconditionnement de la poudre de lait produite dans leurs usines en Europe. En 2013 par exemple, Danone a pris le contrôle de Fan Milk International au Nigéria, une société de distribution de lait présente dans 5 pays d’AO, avec plus de 80% du marché au Nigéria et au Ghana. Arla continue son implantation dans plusieurs pays : en 2017, elle a implanté une usine au Ghana, y créant … 8 emplois[20]. (Voir tableau des implantations en annexe 1).

Positionnement des multinationales laitières européennes en Afrique de l’Ouest

(d’après Corniaux, 2018)

Cependant, un nombre croissant de firmes, sous la pression des Etats ouest-africains voulant promouvoir la production locale, soucieuses de leur image de « responsabilité sociale », et aussi pour fabriquer plus facilement certains produits locaux typés, s’associent avec des laiteries locales et transforment à la fois le lait local et la poudre importée, comme Danone au Sénégal (Laiterie du Berger), Friesland Campina au Nigéria (Wamco), etc… Cet intérêt pour le lait local se renforce mais il ne concerne encore que 20% des entreprises, qui ne  collectent que très peu de lait local, soit environ 30.000 litres (20% des capacités de  la laiterie du Berger, 0,4% de celle de la Wamco, 1,3% pour Eurolait-Sodiaal au Mali, …)[21]

Principales laiteries industrielles collectant du lait en Afrique de l’Ouest (d’après Corniaux 2018)   

La difficulté de collecter le lait issu du pastoralisme et la forte demande des grandes villes poussent les entreprises à s’intéresser aussi au développement de grandes fermes laitières spécialisées péri-urbaines, qui pourraient à l’avenir représenter une part importante du « lait local ». Cela pourrait réduire l’espace commercial du lait de brousse et mettre en péril la production pastorale.

Par ailleurs, les firmes laitières européennes, attirées par le développement de classes moyennes dans les grandes villes, ne se développent pas en Afrique de l’Ouest seulement pour y écouler leur poudre de lait, mais aussi leurs produits de grande consommation (yaourts, desserts laitiers, fromage blanc, etc…).

Les logiques financières qui encadrent ces implantations en AO sauront-elles s’allier avec les intérêts des populations rurales ouest-africaines pastorales et agro-pastorales et ceux des consommateurs urbains ? Le thème qui suit donne à réfléchir.

  1. Le boom des exportations européennes de mélanges de poudre de lait et de matières grasses végétales

Depuis quelques années, une part croissante des exportations laitières de l’UE vers l’Afrique de l’Ouest est constituée de poudre de lait maigre mélangée à des matières grasses végétales (MGV), le plus souvent de l’huile de palme[22], 12 fois moins chère que la matière grasse laitière. Classé comme « mélange de lait écrémé et de graisse végétale en poudre », ce succédané de produit laitier est vendu environ 30% moins cher que la poudre de lait entier sur le marché africain. Il permet ainsi une importante marge bénéficiaire pour les entreprises importatrices de mélange MGV puisqu’elles l’ont importé de l’UE à un prix inférieur de 58% en moyenne au prix de la poudre de lait entier de 2016 à 2018[23].

Le mélange se fait dans les usines des laiteries européennes qui ont multiplié les tours de séchage du lait en Europe ces dernières années. Ces MGV sont également ajoutées dans des laits concentrés, des blanchisseurs de café (creamers), des beurres, ….

Aujourd’hui, l’UE exporte surtout du mélange MGV vers l’Afrique de l’Ouest

Depuis 2015, l’Afrique de l’Ouest importe plus de mélange-MGV que de poudres de lait. En 2018, 74.9% des exportations UE de poudres de lait+ mélange vers l’Afrique de l’Ouest ont consisté en mélange MGV.

34,7% des exportations UE de mélange MGV sont à destination de l’Afrique de l’Ouest (voir partie 2), tandis que les deux tiers du mélange MGV importé en Afrique de l’Ouest provient de l’UE.

L’Irlande (firme Glanbia) arrive en tête des exportations de mélange MGV vers l’Afrique de l’Ouest.

En 2018, l’Afrique de l’Ouest a importé 276.892 tonnes de mélange MGV, soit 24% de plus qu’en 2016, et 234% de plus qu’en 2008 (figure ci-dessous). C’est le Nigéria qui arrive en tête des importations en provenance de l’UE, suivi du Sénégal, de la Mauritanie, du Mali … Au Sénégal par exemple, les importations de mélange MGV ont été multipliées par 4 entre 2001 et 2016. Cette forte augmentation se fait bien entendu au détriment des importations de poudre de lait entier aujourd’hui beaucoup plus chère que le mélange MGV: l’huile de palme remplace de plus en plus les matières grasses laitières dans la poudre.

Beaucoup d’investissements récents des firmes laitières européennes en Afrique de l’Ouest (Glanbia[24], Arla, Nestlé,…) sont liés au boom du mélange MGV,  moins cher, qui accentue encore les difficultés des producteurs africains de lait local à développer leur marché.

Opacité

Il est difficile de tracer la production et le commerce du mélange MGV il n’est pas classé dans les produits laitiers et peut apparaître dans les statistiques douanières associées à d’autres « préparations alimentaires diverses ». Par ailleurs, certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le Ghana ont une nomenclature tarifaire moins précise. Tant du point de vue institutionnel que des firmes laitières, une clarification est nécessaire, afin d’identifier précisément ce commerce en pleine croissance.

Pourquoi autant de poudre engraissée aux matières grasses végétales ?

ette forte augmentation est liée à plusieurs facteurs : politique laitière de l’UE, cours mondiaux, et stratégie des firmes européennes en AO :

  • depuis la fin des quotas en 2015 et l’augmentation de la production laitière UE, les stocks européens de poudre ont fortement augmenté, jusqu’à 380.000 tonnes en 2017 (voir paragraphe 6). De plus, l’embargo russe sur les importations européennes et la fin, depuis 2018, de l’intervention UE, qui ne rachète plus la poudre de lait en excédent sur le marché, ont poussé les industries à trouver de nouveaux débouchés.
  • le prix des matières grasses laitières (crèmes, beurres) a beaucoup augmenté sur le marché mondial : après avoir triplé en 2009, le prix du beurre s’est envolé à l’hiver 2016-2017, à plus de 6500 $ la tonne, soit 4 fois plus qu’en 2003. Cette hausse est due en partie au regain d’intérêt pour le beurre des consommateurs étasuniens depuis 2014 suite aux révélations des campagnes de désinformation contre le beurre par les firmes de graisses végétales, regain qui touche aujourd’hui également les consommateurs européens. La nouvelle classe moyenne asiatique, en forte augmentation, consomme également de plus en plus de beurre. Les industriels ont produit ainsi de plus en plus de crème et de beurre pour ce marché rémunérateur, le co-produit étant la poudre de lait maigre, qu’il faut écouler. Les stocks de poudre de lait maigre ont fait plonger son prix en 2017-2018, retrouvant son prix de 2003.
  • En parallèle, le prix des huiles végétales a fortement baissé depuis 2011. L’huile de palme est de 15 à 20% moins chère que l’huile de soja, et 12 fois moins chère que le beurre (en équivalent matière grasse).

Le consommateur africain est souvent trompé, au risque de sa santé

Les produits laitiers réengraissés avec des matières grasses végétales ne sont pas toujours identifiés comme tels par le consommateur ouest-africain. Si l’origine végétale des produits est parfois mentionnée, cela n’est pas vrai pour tous les produits, en particulier pour les petits sachets de poudre transparents noués sans étiquette, vendus très couramment, ainsi que les yaourts locaux et les plats préparés. D’où une possible confusion sur laquelle jouent les publicités (images faisant référence au lait, à l’élevage).

Ces faux produits laitiers n’ont pas la même qualité nutritionnelle (acides gras, minéraux, vitamines) . Pour se rapprocher de la qualité nutritionnelle des matières grasses laitières, les industriels sont obligés d’ajouter des minéraux et vitamines dans les produits réengraissés.  On est loin de la qualité nutritive d’un lait frais local !

Alors que ces produits sont vendus en masse, il n’y a pas d’études sur les conséquences en termes de nutrition et de santé publique, en particulier pour les nourrissons et femmes enceintes. Aucun produit ne mentionne la recommandation de l’OMS « NE CONVIENT PAS AUX NOURRISSONS ».  La population ouest-africaine pauvre qui achète ces produits, sans savoir que ce ne sont pas des produits laitiers, n’en connaît pas les risques éventuels. Il est urgent que la recherche publique engage des études sur les effets de la consommation de ces mélanges de poudre de lait et de matières grasses végétales sur la santé.[27]

Par ailleurs, on ne peut ignorer les conséquences de la production d’huile de palme sur la déforestation dans les régions équatoriales, y compris en Afrique, où les plantations se développent, avec -entre autres- des investissements de firmes européennes.

  1. Des écarts de prix déloyaux vis-à-vis du lait local

La compétitivité des producteurs laitiers ouest-africains sur leur propre marché est mise à mal par le prix très bas des produits laitiers importés. La situation empire avec le développement des produits réengraissés en matières grasses végétales, encore moins chers.

Au Burkina-Faso, par exemple, un litre de lait local pasteurisé était vendu en 2018 à 600 Francs CFA (0,91 euros) contre 225 FCFA (0,34 euros) pour un litre de lait en poudre reconstitué. Au Sénégal, le litre de lait reconstitué à partir de poudre réengraissée valait entre 230 et 290 FCFA, contre 420 à 490 FCFA pour celui reconstitué à partir de poudre de lait entier.

Ces dernières années, l’écart de prix entre la poudre de lait entier (PLG) et le mélange MGV s’est amplifié

Prix FAB[28]/tonne en € mélange MGV PLG MGV/PLG
2016 1862,3 2958,8 62%
2017 2124,6 3574,2 59%
2018 1956,9 3464,6 56%

(Eurostat)

 Prix de revente de la poudre de lait et des mélanges de lait et de graisse végétale en poudre  sur le marché au détail de Ouagadougou (sept. 2018)

Marques Industrie de réensachage (pays) Emballage
(mat. grasses en g/kg)
Prix

(Fcfa)

Prix

(Fcfa/kg)

Prix

(€/kg)

Lait en poudre entier :
Kossam Nima Industrie (Mali) Sachet de 200g (26g) 750 3750 5,72
Laicran Cotim (Mali) sachet de 400g (26g) 1700 4250 6,48
Mélange de lait écrémé et de graisse végétale en poudre :
Vivalait Sitrapal (Togo) Sachet de 240 g (28,5g) 700 2917 4,45
Vivalait Sitrapal (Togo) Sachet de 500 g (28,5%) 1300 2600 3,96
  1. Duteurtre – C. Corniaux , op. cit –

Ces écarts de prix sont importants pour des populations majoritairement pauvres, qui n’ont guère d’autre choix que d’acheter le lait le moins cher. Cependant, étant donné que la consommation de produits laitiers par ces populations ne représente qu’une faible part des dépenses des ménages, l’argument de la sécurité alimentaire pour justifier une politique de bas prix des poudres de lait importées ne se justifie pas.

Pour rapprocher les prix de ces deux sources d’approvisionnement, on peut soit baisser les coûts de production et donc le prix du lait local, soit augmenter le prix des produits importés. Nous venons de voir que le prix de ces derniers baisse et que l’UE prévoit d’en exporter davantage. A l’heure actuelle, la tendance irait donc plutôt vers la première option, en intensifiant la production laitière dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest et en diminuant les frais de collecte. C’est ainsi que la Laiterie du Berger au Sénégal (Danone) a pu abaisser le coût du lait rendu usine de 370 FCFA/kg en 2013 à 315 FCFA en 2015 puis 2017[29].

Les Etats d’Afrique de l’Ouest rechignent à augmenter les droits de douane de la poudre de lait importée ou du mélange MGV (5% seulement), qu’ils classent comme des « produits de première nécessité », afin de maintenir une alimentation la moins chère possible pour les populations urbaines pauvres.

Nous verrons dans le paragraphe 6 que le prix bas auquel parvient la poudre de lait européenne en Afrique de l’Ouest est un prix quelque peu artificiel, lié aux politiques laitière et agricole européennes, qui subventionnent les exploitations et permettent aux laiteries d’acheter le lait aux producteurs à un prix inférieur à leur coût de production.

Par ailleurs, s’il reste le critère le plus important par rapport au pouvoir d’achat, le prix n’est pas le seul : le goût et la typicité du produit peuvent conduire le consommateur vers des produits locaux traditionnels plutôt qu’importés. L’inverse est aussi vrai : les générations urbaines s’habituent aux goûts des produits importés et peuvent devenir réticents par rapport aux produits locaux. A Dakar par exemple, le goût du lait en poudre est apprécié au petit déjeuner.

Au Burkina-Faso, « la consommation du lait local est entrée dans les habitudes alimentaires. Les Burkinabés savent qu’on peut transformer le lait frais en yaourt et donc de plus en plus de personnes préfèrent le yaourt fait à base de lait local au yaourt issu du lait en poudre » [30],  indique Ibrahim Diallo, président de l’union nationale des mini-laiteries et producteurs de lait du Burkina-Faso.

Au Niger : un industriel dépassé par le succès de la production de lait local

Le lait local n’est pas compétitif, du point de vue du prix, face à la poudre vendue en vrac, encore moins face à la poudre low cost réengraissée. Il est en revanche tout à fait compétitif par rapport au sachet Nido de 26 g qui est vendu 200 FCFA. Très répandu dans les kiosques des vendeurs de rue, ce sachet de la marque Nestlé ne permet de faire qu’un seul verre de lait. Le litre revient alors à 1 000 FCFA, soit deux à trois fois le prix du lait local. La limite ici n’est pas le prix, mais la conservation qui donne l’avantage à la poudre de lait. L’argument souvent avancé de non compétitivité du lait local doit donc être nuancé et ne devrait pas démotiver d’investir dans les filières lait local. En dépit de ce contexte globalement défavorable, le projet Nariindu, qui associe un industriel nigérien, des centres de collecte paysans multiservices et est soutenu par l’Iram et Karkara, a considérablement amélioré la qualité du lait livré, augmenté la quantité collectée (+ 600 % en six ans pour le centre d’Hamdallaye) et diminué la saisonnalité de la production. …L’offre de lait local dépasse à présent la capacité d’écoulement de l’industrie partenaire, qui a imposé des quotas limitant les quantités achetées en 2017. Cet industriel produit du lait pasteurisé en sachets, des yaourts et du lait caillé. La demande des consommateurs pour ces produits étant également croissante, l’industriel a décidé d’investir pour accroître sa capacité.[31] 

  1. Conséquences désastreuses pour les producteurs ouest-africains et européens

Prix du lait en-dessous des coûts de production dans l’UE, prix du lait importé beaucoup moins cher que le lait local en Afrique de l’Ouest : les politiques menées ont un coût social énorme au nord et au sud.

Des producteurs ouest africains en sursis ?

En 2015, Ibrahim Diallo, expliquait : « avec la levée des quotas et l’embargo russe, vers où les Européens vont-ils se tourner ? vers l’Afrique et cela nous inquiète beaucoup. Aujourd’hui le lait en poudre est devenu tellement moins cher qu’on n’est pas compétitif sur le marché. En plus notre coût de production est de plus en plus élevé ».[32]

Etant donné les nombreuses contraintes qui pèsent sur la production laitière ouest-africaine (voir paragraphe 1) et les importations à bas prix, la tendance actuelle à combler le déficit en lait local par du lait importé va s’accroître, voire s’accélérer avec le développement des importations de mélange réengraissé-MGV. Cela freine considérablement le développement de la production laitière.

Pour avoir envie de produire plus, il faut que le prix du lait soit juste et que ce prix ne soit pas seulement entre les mains de la laiterie. Si, comme en Europe, l’intensification de la production a pour objectif d’abaisser le prix du lait local, l’augmentation de productivité profite à l’aval et non aux producteurs.  D’où l’importance de mettre en place des mini-laiteries entre les mains des éleveurs, en lien entre elles pour faire face aux géants européens. Par ailleurs, la modernisation et le développement de la filière ne doit pas écarter pas les femmes des nouveaux revenus générés et de la prise de décision.

Dans les circuits locaux plus courts comme les mini-laiteries, la part des producteurs dans le prix aux consommateurs est plus élevée.

Si les politiques africaines et européennes sont réorientées, si les erreurs du productivisme européen n’y sont pas reproduites, les producteurs ouest-africains ont devant eux un marché florissant qui pourrait valoriser leurs territoires et réduire la pauvreté des zones rurales. Dans le cas contraire, beaucoup d’entre eux resteront en sursis précaire ou déserteront les zones pastorales, y aggravant la pauvreté, l’exode et l’insécurité.

« Le mélange engraissé à l’huile de palme nous tue à petit feu »[33]

Les producteurs européens sur un baril de poudre : de plus en plus de lait, de moins en moins de producteurs, et toujours pas de revenu

Si l’Afrique de l’Ouest importe autant de poudre de lait européenne, on pourrait croire que cela profite aux producteurs européens. Ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre eux.  Le lait leur est payé le plus souvent à des prix inférieurs à leurs coûts de production et ceux qui survivent le peuvent grâce aux subventions européennes et nationales, mais souvent aussi grâce au salaire extérieur de leur conjoint.

De 1983 à 2013, le nombre d’exploitations laitières dans les 10 premiers Etats membres de l’UE a diminué de 81%. Dans l’UE à 28, il restait 600.000 exploitations laitières spécialisées en 2013. En France, par exemple, le nombre de producteurs, après être passé de 155.000 à 80.000 entre 1995 et 2010[34], pourrait se réduire à 20.000 seulement en 2035.

Depuis l’annonce de la fin des quotas, les producteurs européens ont déjà vécu deux crises laitières importantes qui ont vu le prix s’effondrer en 2009 et 2015-2016, et un grand nombre d’exploitations laitières disparaître.

Les fermes danoises, avec plus de 400 vaches en moyenne, souvent considérées comme modèle d’intensification à suivre, sont fortement endettées (20.000€ par vache en 2010[35]), très dépendantes des banques et menacées de faillite quand le prix du lait plonge. Le nombre d’exploitations laitières y est passé de 33.000 en 1984 à 3.000 en 2014.

L’UE a choisi la fuite en avant de la surproduction et de l’exportation de poudre de lait, à faible valeur ajoutée, dans une course suicidaire – pour les producteurs- à l’abaissement des coûts de production avec les autres pays exportateurs. Si l’on continue dans la voie actuelle, 15.000 usines à lait de 1000 vaches produisant 10.000 litres de lait par an suffiraient à réaliser la production européenne actuelle.

Depuis la fin des quotas en 2015, la Commission européenne ne cesse de faire miroiter aux producteurs un marché mondial en croissance et les pousse à produire plus, ce qu’ils font.  Alors que les coûts de production augmentent, le prix du lait monte et descend, au gré des aléas du marché mondial , sur lesquels les producteurs n’ont pas de prise.

Poudre de lait…. poudre aux yeux ?

Rappelons que le marché mondial est un marché résiduel, représentant moins de 10% de la production, portant surtout sur des produits industriels (poudre, beurre, fromages-ingrédients) peu rémunérateurs pour le producteur européen, alors que le marché européen de produits frais élaborés et de fromage de qualité est important et serait rémunérateur si le prix du lait n’était pas basé sur les cours mondiaux des produits d’exportation. En 2015, les poudres de lait ne représentaient que 2,9% des produits laitiers finaux dans l’UE[36]. La transformation (coopérative ou privée) et la grande distribution accaparent les marges réalisées auprès des consommateurs européens sur les produits élaborés.

L’UE s’intéresse à la production, à l’exportation, beaucoup moins aux producteurs.

Par ailleurs, l’industrialisation des exploitations laitières sur le modèle danois, dont le faible revenu repose souvent sur la vente subventionnée de biogaz, le soutien des banques et autres facilités, a d’autres externalités négatives, en particulier sur l’environnement et le climat : absence de pâturage, forte consommation de soja importé d’Amérique du Sud, déplacement de la production vers les ports d’importations du soja au détriment des régions de prairies permanentes plus enclavées, émissions de méthane et d’ammoniac, …

En résumé :

  • Les producteurs de lait ouest-africains sont concurrencés sur leur marché par les importations de produits européens, qui freinent le développement de la production locale,
  • les producteurs européens sont déstabilisés par les prix du lait trop bas et, malgré les subventions européennes , voient voir leur nombre diminuer rapidement,

Si les producteurs sont perdants, qui sont les gagnants ? 

  1. La responsabilité des politiques européennes

 Les politiques laitière, agricole, commerciale de l’Union européenne et de l’Afrique de l’Ouest sont en cause dans ce désastre en cours. Nous nous intéresserons ici essentiellement aux politiques européennes, éloignées de leur obligation de cohérence au service du développement.

La politique laitière européenne

Pendant 31 ans, de 1984 à 2015, l’UE a régulé sa production laitière grâce à des quotas laitiers limitant le volume de production européen, réparti entre les Etats membres et les producteurs, selon des références historiques. Il s’agissait pour l’UE davantage de juguler les dépenses (achat des excédents sur le marché, stockage, aide à l’exportation) liées aux montagnes d’excédents produits auparavant que de maintenir un nombre important de producteurs. L’intensification de la production, avec moins d’exploitations produisant davantage, restait à l’ordre du jour.

Le quota laitier européen a été fixé à une hauteur inférieure au niveau de production antérieur, mais supérieur de 10% à la consommation européenne, afin de maintenir des exportations (subventionnées) et aussi de faire pression sur le prix du lait payé aux producteurs. La production laitière a été alors stabilisée, et les dépenses européennes du secteur laitier ont diminué, grâce à cette régulation du marché, tandis que les dépenses des autres secteurs non régulés augmentaient[37].

Mais en 2003, la politique laitière européenne est mise en accord avec la nouvelle orientation de la Politique agricole commune (voir point suivant): dérégulation des marchés, alignement des prix européens sur les prix mondiaux, compensation partielle de la baisse des prix par une aide directe aux producteurs, découplée de la production, abaissement des droits de douane sur les importations de produits laitiers, qui restent cependant élevés. Cette nouvelle orientation a été poussée par l’industrie laitière, qui veut s’approvisionner à bas prix et conquérir des marchés à l’exportation.

L’UE annonce la fin des quotas pour 2015, avec une augmentation progressive du quota européen à partir de 2008, accompagnant la baisse des prix : pour les producteurs, il s’agit de produire plus… pour gagner moins. Les producteurs doivent « suivre les signaux du marché », sur lequel l’UE doit intervenir le moins possible[38].

Ce qui devait arriver arriva : après un court épisode de hausse du prix du lait en 2007-2008 due à une conjoncture internationale passagère, le prix s’effondre en 2008 au moment où l’UE confirme l’abandon des quotas et augmente la production : une très grave crise se développe en 2009, avec de fortes mobilisations des éleveurs, allant jusqu’à des grèves de livraison. Un tiers des exploitations laitières disparaît entre 2007 et 2010.

La Cour des Comptes de l’UE publie en octobre 2009 un rapport d’évaluation sur les quotas laitiers et constate que « les quotas laitiers ont limité efficacement la production mais que leur niveau s’est avéré longtemps trop élevé par rapport aux capacités du marché à absorber les excédents… Il incombe à la Commission et aux Etats membres d’orienter en priorité leurs efforts vers la satisfaction des besoins du marché domestique européen et, complémentairement, vers la production de fromages et d’autres produits à haute valeur ajoutée exportables sans aides budgétaires »[39]. Mais la Commission européenne passe outre et, sous la conduite de la Commissaire danoise Mariann Fischer-Boel, rétorque que l’adaptation au marché domestique « n’est ni un objectif politique ni un objectif économique »[40].

En 2012, sous l’égide du Commissaire roumain Dacian Ciolos, l’UE, pour calmer la colère des éleveurs, décide une adaptation de sa politique laitière (le « paquet lait ») censée donner plus de pouvoirs aux éleveurs à travers la contractualisation obligatoire avec les laiteries – ce qui revient à privatiser la politique laitière au profit des laiteries-, et l’incitation à créer des organisations de producteurs, mais avec de telles limites que le pouvoir restera aux laiteries.

Après la fin des quotas en 2015, la production « libérée » explose et c’est de nouveau la crise, d’autant plus que l’embargo russe sur les exportations UE et la demande moins forte de la Chine pèsent sur les cours. En 2015-2016, les éleveurs européens perdent 20 milliards d’euros de revenu[41]. Mais la Commission, sous la responsabilité du commissaire irlandais Phil Hogan -dont le pays a les coûts de production les plus bas de l’UE grâce à la douceur de son climat et entend bien doubler sa production- refuse d’agir. Le prix du lait tombe alors en-dessous du seuil d’intervention de 220€/tonne, pourtant fixé très en-dessous des coûts de production d’environ 375€/tonne, et l’UE doit racheter massivement de la poudre de lait sur le marché, jusqu’à 380.000 tonnes, aux frais des contribuables.

En juillet 2016, sous la pression des éleveurs et de certains ministres, la Commission consent à engager un programme volontaire de réduction de la production, auquel beaucoup d’éleveurs participe, avec succès[42]. La production diminue, le prix remonte. Mais la leçon n’est pas retenue et, à l’automne 2017, la production UE dépasse toutes les prévisions. Cependant, dans sa proposition du 1er juin 2018 de réforme PAC post 2020, la Commission ne reprend pas la mesure de 2016 et parie toujours sur le marché mondial.

Aujourd’hui, grâce notamment à une forte sécheresse en 2018 en Europe, la production s’est stabilisée et les stocks de poudre de lait ont fondu, bradés -sans transparence- par la Commission européenne en pesant sur les cours.  Le prix du lait, un peu plus élevé (0,35€/l en décembre 2018), reste en-dessous du coût de production de nombreuses exploitations.

L’Union européenne reste le grand perturbateur du marché mondial, pouvant le saturer en quelques mois. Sans régulation de la production en amont des crises, sans priorité donnée au marché interne et à des produits à haute valeur ajoutée, sans redistribution de la valeur ajoutée dans la filière laitière, les prochaines crises sont déjà annoncées, avec leur lot de restructuration, de suicides d’éleveurs, et d’excédents de poudre de lait à écouler sur les marchés asiatique et africain.

La concurrence déloyale de la PAC sur les marchés extérieurs

On ne peut comprendre la politique agricole et laitière européenne d’aujourd’hui et ses effets sur les pays tiers sans revenir sur le lien essentiel de la Politique agricole commune (PAC) avec les règles du commerce international agricole, qui datent de 1994.

La Commission européenne ne cesse de le clamer haut et fort à chacune de ses interventions : l’UE a éliminé, depuis la réforme PAC de 1992 et celles qui ont suivi, les subventions à l’exportation, qui ont des effets de distorsion sur les échanges. C’est vrai. Mais les subventions internes aux exploitations, à l’industrie, qui représentent la plus grande partie du budget de la PAC, n’ont-elles aucun effet ?

Ici, il nous faut revenir à la réforme majeure de la PAC en 1992, en parallèle des négociations GATT[43] sur les règles du commerce international agricole. A cette époque, les USA et l’UE, accusées de dumping par les pays tiers à cause des subventions aux exportations qu’elles pratiquaient, se sont entendues en 1992 pour utiliser une « faille » des règles du GATT.

D’après le GATT, le dumping est l’exportation d’un produit à un prix inférieur au prix du marché domestique. C’était le cas de l’UE dans la première PAC de 1962 à 1992, où les prix agricoles européens étaient plus élevés que sur le marché international, ce qui nécessitait des restitutions (subventions) à l’exportation pour abaisser le prix au niveau mondial. C’était effectivement déloyal vis-à-vis des pays tiers.

Pour ne pas perdre leur domination sur les marchés agricoles internationaux de l’époque, USA et UE ont trouvé une solution leur permettant de continuer à subventionner leur agriculture et à exporter, sans être accusés de dumping. Il leur suffisait pour cela d’abaisser leurs prix agricoles aux prix mondiaux et de compenser cette baisse par des aides directes aux exploitations, d’abord semi-couplées à la production, puis découplées à partir de 2003, en prétendant que les aides découplées n’ont pas d’effet de distorsion sur les échanges.

Les rapports de force économiques et géostratégiques de l’époque leur ont permis d’imposer l’adoption de ces nouvelles règles, devenant les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994.

Ce fut l’un des principaux moteurs de la réforme PAC de 1992 et des 4 réformes qui ont suivi. Les règles du commerce international formattent la PAC et les autres politiques agricoles dans le monde.

Plaçons-nous maintenant dans la position du producteur de lait sénégalais qui voit arriver dans le port de Dakar des sacs de poudre de lait européenne qui lui font concurrence.  Avant la réforme lait de 2003, ces sacs pouvaient arriver au prix mondial grâce aux subventions à l’exportation de l’UE. Depuis 2003, les mêmes sacs   arrivent au port de Dakar, toujours au prix mondial, sans aides à l’exportation de l’UE. Mais elles ont pu être achetées au producteur européen à ce prix mondial, inférieur à son coût de production, parce que l’UE a versé des aides qui permettent au producteur de lait de vendre son lait à un prix inférieur à son coût de production. Pour le producteur de lait sénégalais, la situation n’a pas changé et la concurrence déloyale est la même, comme l’effet de distorsion, que la subvention UE soit couplée à ou découplée de la production.

Mais l’UE peut clamer qu’il n’y a plus de dumping parce qu’elle exporte au même prix que le prix du marché intérieur : c’est là l’astuce de la définition du dumping du GATT et non celle courante qui est celle d’un produit vendu à un prix inférieur à son prix de revient. Cependant le 3 mars 2005[44], l’Organe d’appel de l’OMC a infirmé cette définition, reprenant la définition courante et condamnant les USA pour leurs subventions aux producteurs de coton. Les USA ont abandonné ensuite leurs subventions découplées de la production, pas l’UE.

Les subventions PAC dont bénéficient les exploitations laitières et les surfaces consacrées à l’alimentation du bétail et aux fourrages contribuent donc aux exportations de poudre de lait à bas prix de l’UE vers l’Afrique de l’ouest. Elles ont bien un effet de distorsion sur les échanges et pourraient être attaquées devant l’OMC. Le montant perçu pour chaque litre de lait s’élève en moyenne à 6,74 centimes d’euro, soit 44,2 FCFA par litre[45].

Ces subventions ne compensent même pas entièrement le fait que le prix du lait payé aux producteurs européens est inférieur à leur coût de production.  Sans les primes PAC, et sans la forte protection du marché intérieur par des droits de douane élevés, les producteurs seraient en faillite. Les primes sont là pour qu’ils continuent à produire et à approvisionner l’aval à des prix inférieurs aux coûts de production[46] : la PAC a institutionnalisé la vente à perte et c’est là le deuxième moteur principal de la réforme PAC de 1992, toujours en pleine action. Les primes PAC sont en fait des subventions des contribuables à l’industrie laitière et à la grande distribution[47].

Le contribuable européen sait – il qu’il finance ainsi Lactalis et Carrefour, Arla et Tesco, Danone et Aldi, … ? Sait – il qu’il finance l’exportation de poudre de lait à bas prix vers l’Afrique de l’Ouest ?

Par ailleurs, il faudrait ajouter aux subventions PAC tous les financements européens et nationaux aux infrastructures, moyens de transport, crédit, ainsi que les subventions nationales à l’énergie produite par les méthaniseurs des grandes exploitations laitières. Toutes ces subventions facilitent la production et l’exportation et n’ont pas d’équivalent en Afrique de l’Ouest.

La politique commerciale européenne : les APE au détriment de l’Afrique de l’Ouest

Si les règles actuelles du commerce international, on vient de le voir, favorisent les exportations de poudre de lait à bas prix, les accords commerciaux dits de « partenariat économique » (APE) entre l’UE et plusieurs régions en développement, dont l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO + Mauritanie) sont déterminants. Il s’inscrivent, pour l’UE, dans une stratégie de multiplication d’accord régionaux ou bilatéraux de «libre» échange. D’ailleurs, c’est la DG commerce de la Commission européenne qui pilote ces accords, et non plus la DG Développement et Coopération. Pour Christiane Taubira, auteure d’un rapport sur les APE pour le gouvernement français, « les APE sont des accords de commerce et non de développement »[48].

L’Union européenne, qui a construit sa force de frappe exportatrice laitière en  protégeant son marché depuis le début de la PAC[49], veut imposer aux pays d’Afrique de l’Ouest, en développement, de libéraliser leur commerce avec l’UE avant d’avoir consolider leur économie.

En 2001, l’UE avait accordé, dans son dispositif « Tout sauf les armes » (TSA) en faveur des pays les moins avancés (PMA), un libre accès à son marché tout en continuant à pouvoir taxer les importations de l’UE. Les APE annulent le TSA en imposant la suppression des droits de douane sur 80% des exportations de l’UE.

L’APE régional avec l’Afrique de l’Ouest a été finalisé en 2014, mais le Nigéria, qui représente la moitié de la population régionale, refuse jusqu’à aujourd’hui de le ratifier, pour ne pas contrecarrer l’industrialisation de son pays et son commerce avec les autres pays de la région.

La réélection fin février 2019 du Président Muhammadu Buhari laisse à penser que, très vraisemblablement, l’APE régional ne sera jamais finalisé.

Deux accords intérimaires (APEi) ont été signés avec la Côte d’Ivoire et avec le Ghana. L’APEi de la Côte d’Ivoire est entré en vigueur le 1er janvier 2019 : il prévoit, entre autres, l’abaissement du droit de douane sur les sacs de 25 kg de poudre de lait de 5% à 0% en 2024. L’APEi du Ghana devrait entrer en vigueur en 2020 et prévoit un abaissement progressif de ce droit de douane dans les années suivantes[50]. Le risque est réel que la poudre de lait moins taxée transite depuis le Ghana et la Côte d’Ivoire vers les autres pays de la CEDEAO sans APE, qui gardent le TEC à 5% de la CEDEAO.

Concernant le mélange MGV (code 19019099), le TEC régional est de 20%. Avec ou sans APE régional, il continuera de s’appliquer aux autres Etats d’Afrique de l’Ouest sans APE intérimaires, car, dans l’APE, il a été exclu de la libéralisation. Par contre dans l’APEi de Côte d’Ivoire le droit de douane du mélange MGV passera à 5% dans 13 ans et au Ghana il passera de 10% à 5 puis 0% en 2030, d’où un risque accru de réexportation par la Côte d’Ivoire et le Ghana vers les autres Etats.

Malgré les critiques du Parlement français et de gouvernements de l’UE (Royaume-Uni, Allemagne), du Président du Ghana, du Nigéria, vis-à-vis des APE, la Commission européenne, qui négocie au nom des 28 états, a refusé de modifier l’accord APE finalisé en 2014 et n’a pas reconnu 3 études d’évaluation de l’APE, négatives, qu’elle avait commandité elle-même[51].

L’UE prétend ne pas avoir d’ «intérêt offensif commercial »  agricole vis-à-vis de l’Afrique de l’Ouest,  les volumes d’échange concernés n’étant pas encore très importants -excepté pour le mélange MGV-, comparés au commerce agricole avec d’autres régions du monde. Pourtant, elle cherche à imposer l’APE régional et avance les pions de ses firmes laitières (et autres) en Afrique de l’Ouest, terrain de jeu géostratégique face à la Chine.

L’UE est également engagée dans la négociation de l’accord succédant à celui de Cotonou entre l’UE et 79 Pays ACP (Afrique, caraïbes, Pacifique), signé en 2000 et qui expire en 2020. Cet accord comportera un volet UE-Afrique. Le Conseil européen a adopté le mandat de négociation donné à la Commission européenne en juin 2018. La Commission espère la fin de la négociation à l’été 2019.

« Les négociations d’APE en cours doivent cesser, les APE signés ne doivent pas entrer en vigueur sous leur forme actuelle et les APE intermédiaires doivent être révoqués » – Confédération internationale des Syndicats (ITUC) – 10 octobre 2017[52]

Les responsabilités des politiques ouest-africaines

Si la CEDEAO a lancé en 2015 une « offensive lait local 2025 » (voir partie 8), force est de constater que les importations n’ont jamais été aussi importantes. Les gouvernements de la CEDEAO ont fixé un TEC sur les poudres de lait de 5% seulement (il est de 60% dans la Communauté d’Afrique de l’Est) et de 20% pour le mélange MGV. Ils ont négocié un accord APE avec l’UE qui libéralise complètement les importations de poudres de lait[53] classiques dans les prochaines années, en maintenant cependant le taux de 20% pour le mélange MGV. On a vu que cet accord ne rentrera sans doute pas en vigueur.

Il n’existe pas d’étiquetage régional clair obligatoire des produits alimentaires et les firmes laitières qui investissent dans le reconditionnement de la poudre de lait ne sont pas obligées partout d’investir dans la transformation de lait local. Voilà quelques décisions ouest-africaines qui ne favorisent pas le lait local.

Face aux pressions des firmes laitières européennes, des firmes européennes d’import/export et de celles qui contrôlent certains grands ports ouest-africains, face aux pressions de l’Union européenne, mais aussi celles des importateurs ouest-africains, les gouvernements de la CEDEAO font pour l’instant le choix d’un approvisionnement en lait importé le moins cher possible pour leur population urbaine pauvre en augmentation.

Il est probable que les rapports de force économiques, financiers, stratégiques limitent ses marges de manœuvre, mais avec un marché de 400 millions de consommateurs, bientôt de 800 millions -beaucoup plus grand que celui de l’UE-, la CEDEAO pourrait peser davantage dans ses choix et renforcer sa souveraineté alimentaire.

L’Afrique de l’Ouest pourrait s’inspirer de l’Inde, qui a protégé sa production laitière en 1960 (ou du Kenya, en 2000). Avec ses millions de vaches locales à bas rendement et de tous petits troupeaux familiaux, et 1,3 milliard d’habitants, l’Inde est aujourd’hui autosuffisante et exportatrice nette de produits laitiers[54] , avec un haut niveau de consommation.

Par ailleurs, en mars 2018, 13 pays d’Afrique de l’Ouest ont signé, avec 31 autres pays, la ZLEC (Zone de libre-échange Continentale Africaine) sur un total de 55 Etats de l’Union africaine, mais le Nigéria reste le seul Etat d‘Afrique de l’Ouest à ne pas l’avoir signé à ce jour. Les protocoles sur les droits de douane et les règles d’origine ne sont pas encore finalisés. La ZLEC prévoit une ouverture des marchés à 90% pour les produits échangés entre pays africains membres. Ce processus a été largement soutenu par l’UE.

La conjugaison des APEi de la Côte d’Ivoire et du Ghana, du TEC de la CEDEAO et de la ZLEC risquent d’aboutir à une situation encore plus difficile pour les pays d’Afrique de l’Ouest et le TEC sera fragilisé par les 2 APEi.[55]  Toutefois la ZLEC, projet sans doute prématuré avant la consolidation de l’intégration régionale des Communautés économiques régionales d’Afrique, ne sera pas opérationnelle à court terme.

Alors que 50% de la population est rurale et dépend de l’agriculture, que les territoires à valoriser sont immenses, que les besoins sont grands en infrastructures, électricité, organisation des filières, formation technique, … la part de l’agriculture dans les budgets ouest-africains est encore trop faible (3%, malgré l’engagement de Maputo en 2003 d’engager 10% de leurs budgets nationaux au profit de l’agriculture).

  1. La responsabilité des firmes laitières européennes

Pierre Gattaz, Président du syndicat patronal français : « L’agriculture ivoirienne représente un eldorado pour l’agroalimentaire français … La stratégie reste de chasser en meute et d’installer durablement des filiales d’entreprises françaises ». [56]

Emmanuel Faber (DG Danone), « l’Afrique est le continent de demain. Nous investissons aujourd’hui sur ce continent comme nous l’avons fait en Asie il y a 15 ans »[57].

Les firmes laitières européennes, qui sont, nous l’avons vu, très implantées en Afrique de l’Ouest et continuent d’y investir, ont une responsabilité importante dans la situation actuelle et à venir.

Elles ont d’abord une responsabilité dans la politique laitière européenne, une politique d’excédents, qu’elles ont favorisée et influencée. Elles ont poussé à la suppression des quotas laitiers, à l’augmentation de la production, pour abaisser le prix du lait et conquérir des marchés à l’export, sans se soucier des producteurs d’Europe et des pays tiers.

En Afrique de l’Ouest, elles sont responsables d’une tromperie envers les consommateurs lorsque leurs produits ne sont pas étiquetés correctement ou, pire, font croire à un produit laitier, alors que c’est un produit à l’huile de palme. Elles sont responsables pour les campagnes de publicité mensongères profitant de la trop faible législation ou de son contrôle insuffisant.

Leur implication dans la transformation du lait local, encore minime, s’accroit (voir carte -partie 2) et elles le font savoir, soucieuses de leur obligation de « responsabilité sociale » (RSE) et de leur image, après les campagnes menées en Afrique de l’Ouest et en Europe en faveur des producteurs ouest-africains. Mais le boom de leurs exportations de lait réengraissé-MGV beaucoup moins cher, mal étiqueté et moins nutritif, écorne cette image de « social business ». Quelle sera leur priorité dans les prochaines années ? Le lait local ou le mélange MGV ?

Etant donné la très faible part de lait collecté transformé par rapport au lait produit, les firmes laitières européennes pourraient facilement augmenter les capacités de collecte et de transformation du lait local.  Si elles n’y ont aucun intérêt économique actuellement, une vision à long terme de leur implantation sur le marché ouest-africain pourrait les motiver.

Les firmes européennes, face au prix volatil de la poudre de lait, anticipent l’éventualité – qui n’est pas à l’ordre du jour actuellement- d’un prix élevé de la poudre de lait, ou bien celle d’une obligation des pays d’Afrique de l’Ouest de traiter davantage de lait local. Elles sont tentées, à l’instar de Friesland Campina et Arla au Nigéria, de la Laiterie du Berger et Kirène au Sénégal[58],  de développer des fermes laitières spécialisées, sur un modèle plus intensif. Cependant, si   cette intensification s’accompagnait d’une baisse des prix à la production, comme nous l’avons connu en Europe, elle ne bénéficierait pas aux éleveurs, surtout à l’élevage pastoral, dont les coûts sont plus élevés.

  1. Initiatives en faveur de la filière laitière locale ouest-africaine

 Convergence entre producteurs européens et ouest-africains

S’ils connaissent des réalités bien différentes, producteurs ouest-africains et européens sont en butte au même cadre des politiques agricoles et commerciales. Depuis longtemps, des organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest et d’Europe se rencontrent, prennent des positions communes pour peser sur leurs décideurs politiques respectifs.

En 2005, par exemple, face à la négociation des accords APE, des organisations paysannes européennes et africaines signaient une déclaration commune[59] indiquant qu’«un tel accord ne manquerait point de nuire à l’agriculture familiale africaine dans la mesure où il mettrait en concurrence les productions agricoles d’Afrique et celles importées à bas prix  de l’UE, parce qu’insuffisamment voire pas du tout taxées aux frontières. Il ne peut y avoir d’échange juste qu’entre économies et compétitivités comparables ».

Face aux crises laitières récurrentes en Europe et au boom des exportations de poudre de lait vers l’Afrique de l’Ouest, des relations plus continues et des projets se sont développés ces dernières années entre organisations de producteurs de lait. Erwin Schöpges, responsable du MIG[60] et initiateur de la marque Fairebel en 2010 en Belgique, a contribué en 2016 à la mise en place de la « marque de plaidoyer » Fairefaso[61], en lien avec l’UPMLB (Union nationale des mini-laiteries et producteurs du lait local du Burkina). Ces labels permettent de mieux rémunérer les producteurs : en plus du prix payé au producteur par la coopérative, une part du prix payé par le consommateur est redistribué au producteur par la coopérative.

En Europe, une partie importante de la profession agricole et de leurs coopératives mise encore sur un marché mondial volatil et souvent non rémunérateur. Si l’Afrique de l’Ouest venait à réduire ses importations de poudre de lait, les producteurs européens en seraient cependant relativement peu affectés, ce marché ne représentant actuellement qu’une faible part des exportations européennes de poudres de lait (voir partie 2) .

Initiatives institutionnelles

La CEDEAO a décidé en 2015 une nouvelle politique agricole ECOWAP 2016-2025, fixant comme priorité « le développement de la production agricole et des filières ouest-africaines en vue de répondre à la demande du marché régional »[62].

Sous la pression commune des organisations de producteurs (APESS, ROPPA,RBM,CURET) la CEDEAO a lancé une Offensive régionale pour la promotion du lait local pour augmenter de façon substantielle la production locale du lait frais en améliorant la productivité du cheptel, améliorer l’approvisionnement de l’industrie laitière régionale au moyen de la collecte d’au moins 25 % de la production régionale de lait local à l’horizon 2025 et promouvoir un environnement incitatif au développement des chaines de valeur du lait local.[63] Le dernier point laisse envisager une modification de la fiscalité interne et des droits de douane. Cependant le portage par la CEDEAO de cette Offensive lait reste encore à construire.

Le Nigéria, de son côté, négocie l’augmentation de la collecte par les coopératives étrangères comme Friesland Campina, avec un passage de 3 % à 10 % de la production sur 10 ans.

L’exonération du lait pasteurisé issu de lait local au Sénégal[64]

A l’occasion de la 4ème édition de la Journée Nationale de l’Elevage, en décembre 2017, le Président de la République du Sénégal Macky Sall a annoncé la décision d’exonérer la TVA sur le lait pasteurisé à base de lait local, répondant ainsi à une demande des organisations d’éleveurs confrontés à la concurrence des poudres importées sur le marché de la transformation. A ce jour, la mesure n’a pas encore été mise en application. Anticipant la décision, la Laiterie du Berger a d’ores et déjà annoncé une augmentation du prix du lait payé aux éleveurs.

Au Parlement européen, la Commission Développement a adopté le 14 mars 2018 (avis Noichl) et le 7 février 2019 (avis Heubuch) des avis sur la prochaine réforme de la PAC, demandant notamment l’inscription de la cohérence politique pour le développement comme un des objectifs de la PAC.

Le Comité européen des Régions, dans son avis sur la prochaine réforme PAC, plaide pour une régulation des marchés[65], qui coûte moins cher que les mesures en cas de crise.

 Initiatives de terrain

En juin 2018, 6 coalitions nationales ouest- africaines, avec le partenariat de la laiterie Tiviski (Mauritanie) et l’appui d’ONG de solidarité internationale et d’instituts ont lancé la campagne « Mon lait est local »[66], qui demande aux Gouvernements et aux institutions régionales de développer et promouvoir le lait local en Afrique de l’Ouest. La campagne parie sur des alliances avec les industries locales, les ministères et l’administration, les producteurs européens, et sur des alliances entre consommateurs urbains et ruraux, pour mettre en action la priorité au lait local.

Une initiative de lait durable et équitable en France

En France, Biolait, créée en 1994, regroupe 2000 producteurs de lait biologique et assure la collecte et la vente du lait, avec un prix au producteur basé sur les coûts de production, en respectant la charte de Commerce équitable France[67]. Le producteur y trouve rémunération, visibilité et sécurité de débouché tandis que le consommateur a la garantie d’un lait de qualité bio, riche en oméga-3, avec pâturage en prairies permanentes, sans importation de protéines végétales.

  1. Recommandations vis-à-vis des politiques européennes[68]

* Assurer une politique agricole et laitière équitable et durable

 Une réforme de la PAC est en cours de négociation depuis juin 2018 et pourrait être adoptée en 2020 pour la période 2021-2027.

– mettre en place, afin de prévenir les excédents structurels actuels engendrant des exportations importantes de poudre de lait à bas prix, et de rémunérer les producteurs, une gestion de l’offre basée sur un volume de production européen assurant la demande intérieure et l’export – en quantités raisonnables- de produits laitiers à haute valeur ajoutée. Il suffit pour cela d’élargir à toute la production la possibilité donnée dans la PAC actuelle aux appellations fromagères d’origine protégée (AOP) de réguler leur production[69].

– mettre en place, en cas de forte baisse de prix conjoncturelle, un programme de baisse de la production, comme le demandent le Comité européen des régions, European milk board et la Coordination européenne via campesina

– élargir les paramètres aujourd’hui relevés par l’Observatoire européen du marché du lait-MMO (production, prix, exportations, importations) aux coûts de production dans les Etats membres, aux coûts et aux marges de la transformation et de la distribution, ainsi qu’aux aux volumes exportés dans les pays en développement, aux volumes exportés de mélange-MGV, et au prix de ces produits exportés. Ces paramètres sont indispensables pour négocier une répartition équitable de la plus-value au sein de la filière et partir des coûts d’une production durable pour la formation du prix.

– renforcer les organisations de producteurs européens afin d’augmenter leur pouvoir de négociation[70].

– soutenir la transition des élevages laitiers vers une production respectant l’environnement et le climat : pâturage obligatoire, limite de chargement à l’hectare, taille maximale des élevages, prairies diversifiées incluant des légumineuses, soutien aux races locales, soutien à la production biologique, …

– inciter les laiteries actuellement orientées vers la production de poudre de lait et de beurre à s’orienter vers des produits à plus haute valeur ajoutée, d’abord pour le marché européen.

– réaliser une étude publique approfondie de l’impact du mélange MGV sur la santé des consommateurs en comparaison avec le vrai lait.

– attribuer les primes PAC non plus aux hectares mais aux actifs agricoles, pour favoriser l’emploi et stopper la course à l’agrandissement des exploitations.

– éviter toute forme de dumping à l’exportation, en taxant les produits exportés à hauteur du soutien PAC aux exploitations[71].

– supprimer le soutien à la promotion des produits agricoles UE à l’exportation vers les pays en développement.

 * Politique commerciale : APE, accord post-Cotonou, OMC

– APE : ne plus exercer de pression sur le Nigéria, qui refuse de ratifier l’APE régional, et les autres pays de la CEDEAO, et utiliser cette situation pour transformer l’APE en un accord de partenariat pour le développement, c’est-à-dire un accord qui privilégie le développement de la production laitière pastorale et agro-pastorale et non plus les intérêts des grandes firmes laitières européennes.

–  respecter la souveraineté des pays d’Afrique de l’Ouest lors de la révision de leurs tarifs extérieurs communs en 2020, sans contreparties.

– obliger les exportateurs européens à un étiquetage clair du contenu des exportations de produits laitiers, et supprimer toute confusion possible entre produits laitiers et les poudres mélangées à des matières grasse végétales dans la nomenclature douanière. Traçabilité et transparence doivent être non seulement exigés pour les produits importés dans l’UE, mais aussi pour les produits exportés.

– ne pas négocier d’accord commercial entre l’UE et la Nouvelle-Zélande[72] qui ouvrirait davantage le marché européen aux produits laitiers de ce pays.

– laisser, dans le cadre des négociations de l’accord succédant à celui de Cotonou post 2020, plus de marges de manœuvres aux pays en développement pour adapter, en fonction de l’état de leur économie locale, leurs tarifs douaniers, leurs quotas d’importation, leurs marchés publics, leurs règles pour les investissements étrangers.

  • Cohérence des politiques avec le développement

 « L’APE contrecarre les efforts de la politique de développement de l’Europe ». Günter Nooke, Commissaire pour l’Afrique de la Chancelière allemande Angela Merkel[75]

– effectuer une évaluation ex-ante de la cohérence avec le développement de la prochaine réforme de la PAC pour la période 2021-2027 avant toute adoption,

– rappeler, comme le demande la Commission Développement du Parlement européen et le Comité européen des régions, le principe de cohérence avec le développement dans les objectifs de la PAC,

–  publier les taux de dumping (voir paragraphe 6) des exportations UE de produits laitiers, ainsi que les volumes de commerce intra-entreprises de produits laitiers dans les filiales d’entreprises européennes dans les pays en développement.

– Prévenir, en utilisant le MMO élargi, toute augmentation d’exportation susceptible de perturber la production locale des pays en développement

– Mettre en place, comme le demandent l’IPES[76] et Concord, un mécanisme de plainte accessible aux communautés rurales des pays en développement touchées par la politique commerciale UE.

– Cesser de financer la promotion des exportations agricoles pouvant mettre en danger la production locale des pays en développement.

  • Politique européenne de coopération au développement
    • appuyer la campagne « mon lait est local » d’Afrique de l’Ouest,
    • appuyer les organisations de producteurs et la concertation à l’intérieur de la filière et avec les institutions,
    • développer l’appui technique dans la durée afin d’améliorer la collecte du lait local et les performances des mini-laiteries,
    • soutenir la promotion des produits laitiers locaux auprès des consommateurs ouest-africains, un étiquetage clair du contenu des produits, ainsi que le renforcement des organisations de consommateurs,
    • soutenir les gouvernements ouest-africains à promouvoir les achats institutionnels de produits à base de lait local dans les écoles et via des campagnes d’information grand public.
    • ….
  • Evénements, échéances
    • Elections du Parlement européen du 26 mai 2019
    • Journée mondiale du lait – 1er juin 2019
    • Négociation de la réforme PAC post 2020 en 2019-2020
    • Révision des tarifs douaniers ouest africains en 2020
    • Révision de l’accord de Cotonou en 2020
    • …….

« En langue peule le lait se dit kossam, ce qui signifie ce qu’il y a de meilleur » [77]

 Pour en savoir plus

  • La filière laitière locale d’Afrique de l’Ouest 

– Prospects for Livestock-Based Livelihoods in Africa’s Drylands, World Bank study, 2016

http://www.acordinternational.org/acord/fr/acord/fr/actualits/autonomiser-les-femmes-productrices-de-lait-au-burkina-faso/

https://www.euractiv.com/section/development-policy/news/eu-africa-free-trade-agreement-destroys-development-policy-says-merkel-advisor

La responsabilité des firmes laitières européennes

https://dm.cor.europa.eu/CoRDocumentSearch/Pages/opinionsresults.aspx?k=(adoptiondate:2017/07/11..2017/07/14)(dossiername:NAT-VI)(rapporteur:CROS)(documentlanguage:FR)

  • Avis législatif du Comité européen des Régions sur la réforme PAC post-2020 – dec 2018

https://cor.europa.eu/FR/our-work/Pages/OpinionTimeline.aspx?opId=CDR-3637-2018

 [2] L’Autre quotidien – 1/9/2016

[3] Op.cit

[4] Bundesverband Deutscher Milchviehhalter, organisation de producteurs de lait, membre de l’EMB (European Milk Board) – op. cit

[5] Des revendications spécifiques aux acteurs ouest-africains sont développés dans d’autres documents

[6] L’Afrique de l’Ouest a autant de vaches que l’Union européenne

[7] Le lait des petits ruminants joue un rôle important. Il y a plus de lait de brebis que de lait de vache au Mali

[8] 78kg au Mali, 57kg au Niger, 54 kg au Sénégal – recommandation OMS = de 70 à 90 kg

[9] Inoussa Maiga, « la liste des contraintes s’allonge pour les mini-laiteries », Défis Sud, décembre 2015

[10] « Epanouissement et repos de la femme peulh à travers la mise en place de la plateforme lait à Banfora »- étude de cas au niveau de la PIL-B – 2014 – Global trading & consulting group

[11] Promotion du lait local : « On n’y parviendra jamais sans l’aide de l’Etat » – Burkina.com

[12] La laiterie de Fada en quête de matière première – Burkina.com – 2015

[13] La plus grande laiterie du Burkina Faso lutte pour sa survie et son essor- ouaga.com – 2017

[14] Il s’agit ici plus d’un problème de conservation que de qualité bactériologique. En Afrique de l’Est, où 90% du lait consommé est du lait local, les consommateurs le font bouillir systématiquement. C’est aussi ce que faisaient les ménages ruraux européens jusqu’aux années 1960.

[15] Prospects for Livestock-Based Livelihoods in Africa’s Drylands, World bank, 2016

[16] Eurostat – J.Berthelot

[17] Tandis que le TEC actuel va de 10 à 35% pour les produits laitiers transformés

[18] EU agricultural outlook 2018- DG AGRI- 6/12/2018

[19] Etude Oxfam Belgique-SOS Faim-2016

[20] EPA monitoring – 1/03/2018

[21] Note Oxfam-Cirad- pour une alliance renouvelée entre industriels et éleveurs laitiers en Afrique de l’Ouest-2018

[22] huile de palme, coco ou de coprah, qui sont toutes des huiles solides

[23] J. Berthelot

[24] L’Irlande produit beaucoup de crème, pour les crèmes whisky, d’où la production de beaucoup de poudre de lait maigre, que Glanbia vend en Afrique de l’Ouest depuis 1990.

[25] G. Duteurtre – C. Corniaux – « le commerce de poudre réengraissée » – rapport CIRAD – 2018

[26] G. Duteurtre – C. Corniaux – op.cit.

[27] La France avait interdit l’importation de ces mélanges en 1984, notamment pour des motifs de santé publique, mais la Cour de Justice de l’UE a annulé cette interdiction en 1988 pour entrave à la libre circulation des marchandises.

[28] Prix FAB = prix Franco à bord = à la frontière du pays exportateur

[29] Dossier campagne lait Afrique de l’Ouest – 2018

[30] Interview dans Défis Sud – décembre 2015

[31] d’après « Soutenir la filière lait local en Afrique de l’Ouest pour combattre la pauvreté »- CFSI- novembre 2018

[32] Interview dans Défis Sud- op.cit.

[33] Moustapha Dia, président de l’Adena – Sénégal – au séminaire du 26/2/2019 à Paris

[34] France Agrimer -2011

[35] André Pflimlin- « Europe laitière » – 2010

[36] Eurostat. Agriculture statistics – milk – 2016

[37] Pour être plus précis, il faudrait aussi imputer au secteur laitier une partie du budget affecté au secteur des grandes cultures, qui produisent une partie de l’alimentation des vaches laitières.

[38] Mais les aides découplées et les droits de douane élevés sont bien une intervention publique forte sur le marché !

[39] Rapport spécial n°14 – Cour des comptes européenne, 2009

[40] André Pflimlin – op. cit. p 238

[41] A. Pflimlin – 26/2/2019- séminaire « Consommer local, l’avenir de l’alimentation en Afrique de l’Ouest-Paris

[42] Communiqué de presse- Commission européenne – 5/7/2017 – étude A.Fink-Kessler – A.Trouvé pour EMB – juillet 2017

[43] Accord général sur les tarifs douaniers

[44] En fait 4 fois : affaires des produits laitiers du Canada de décembre 2001 et décembre 2002, du coton des USA du 3 mars 2005 et du sucre de l’UE du 28 avril 2005 – documentation OMC – cité par Jacques Berthelot

[45]  J. Berthelot, op.cit

[46] Relire le discours de Pascal Lamy, commissaire UE au commerce devant la CIAA (confédération de l’industrie agro-alimentaire) le 19/6/2003 – cité par J. Berthelot – op. cit

[47] Et bien entendu aussi aux grandes exploitations, la majeure partie des subventions étant par hectare, sans plafond.

[48] Interview au Journal du Dimanche-7/7/2008.

[49] dans la PAC actuelle, les prix intérieurs sont souvent plus bas que les coûts de production, ce qui est aussi une forme de protection vis-à-vis des importations, possible seulement avec des subventions aux exploitations.

[50] Calendrier de l’APEi Ghana encore en discussion

[51] J. Berthelot – « vous avez dit libre échange ? – l’APE UE-AO » – L’Harmattan – 2018 – page 53

[52] Cité par J. Berthelot op cit – p 37

[53] Alors que la viande de volaille reste protégée par des droits de douane plus élevés

[54] C’est d’ailleurs un des obstacles à la finalisation de l’Accord de libre-échange avec l’UE qui voudrait lui imposer de réduire ses droits de douane sur les produits laitiers

[55]La clause de la Nation la Plus Favorisée inscrite dans les APEi de Côte d’Ivoire et le Ghana les obligent à accorder à l’UE les avantages tarifaires prévus dans la ZLEC, c’est-à-dire à libéraliser 90% des importations, au-delà des 75% prévus dans les APEi. Les 13 autres pays de l’Afrique de l’Ouest membres de la ZLEC ne pourront taxer que 10% des produits qu’ils s’échangent entre eux, y compris donc des produits UE en provenance du Ghana et de la Côte d’Ivoire. D’où l’empressement de l’UE à appuyer la création de la ZLEC. La CEDEAO devra réviser ses règles d’origine sur la libre circulation des produits agricoles en son sein et surtout les faire appliquer strictement.  Voir J.Berthelot – op.cit

[56]  Pierre Gattaz, Pdt du MEDEF- Agra presse hebdo – N°3545 – p 46- 9 mai 2016

[57] Danone prépare son avenir en Afrique – Le Monde – 24 février 2016

[58] Ces deux laiteries comptent sur un approvisionnement de 50% par ces fermes laitières. Note Oxfam-Cirad Dec 2018 « pour une alliance renouvelée entre industriels et éleveurs laitiers en Afrique de l’Ouest  ».

[59] ROPPA (réseau des organisations de paysans et producteurs d’Afrique de l’Ouest), CPE (Coordination paysanne européenne), FWA (Fédération wallonne de l’agriculture), CBB (Confédération des betteraviers belges), COAG (Coordinadora de agricultores y ganaderos)

[60] Milcherzeuger Interssengmeinschaft (Belgique germanophone), membre de EMB

[61] Fairebel/Fairefaso : un plaidoyer commun et un soutien mutuel pour les producteurs de lait – Agriweb – 2016

[62] Rapport sur la promotion du lait local en Afrique de l’Ouest – 2018- GRET-APESS-RBM-ROPPA-CFSI-ISF – p40

[63] Op.cit

[64] Rapport du GRET sur les politiques fiscale et commerciale de la filière lait en Afrique de l’Ouest – 2018

[65] Recommandation 10 et 11

[66] https://www.supportonslelaitlocal.org/

[67] www.commerceequitable.org – étude de la filière Biolait – janvier 2019 – page 98

[68] Au vu des paragraphes précédents, les politiques ouest-africaines pourraient être améliorées tant au point de vue agricole, fiscal, que commercial, afin de promouvoir le lait local : elles ne font pas l’objet de ce document.

[69] Quotas: comment les fromages AOP protègent les producteurs de lait – www.Lemessager.fr 8/4/2015

[70] Dans la proposition de réforme PAC post 2020, il n’y a plus de plafonds limitant la taille des groupements et leur part de la production

[71] Position de la plateforme française pour une autre PAC- www.pouruneautrepac.eu

[72] Accord en cours de négociation

[73] La PAC post-2020- avis du CdR du 12/07/2017

[74] le prix à l’export ne doit pas être inférieur au « coût total moyen national de production sans subventions ».

du pays exportateur (et non à son prix intérieur comme dans l’actuelle définition)

[75] Euractiv- 7 novembre 2014

[76] Vers une politique alimentaire commune pour l’UE – IPES food – 2019

 

Principaux acronymes :

Afrique de l’Ouest =  CEDEAO + Mauritanie

CEDEAO  Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina-Faso, Cap-Vert,

Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Afrique de l’Ouest = CEDEAO + Mauritanie

CIRAD     Centre de Coopération Internationale de Recherche agronomique pour le

développement

FAO        Food and Agriculture Organization

MGV      matières grasses végétales

OMC      Organisation mondiale du commerce

ONG      Organisation Non Gouvernementale

PAC        Politique agricole commune

PLG        Poudre de lait grasse (entière)

PLM       Poudre de lait maigre

TEC        Tarif extérieur commun de la Cedeao

UE          Union Européenne

ZLEC      Zone de libre-échange continentale

 

Changer les règles du commerce international, nécessité et opportunité pour relever les défis agricoles, alimentaires et planétaires.

Communiqué de presse
Comité européen des Régions

Bruxelles, le 9 mars 2018

 

L’Union européenne est le premier importateur et exportateur mondial de denrées alimentaires. En même temps, les producteurs agricoles européens font face à des prix agricoles souvent inférieurs à leurs coûts de production, tandis que les producteurs des pays en développement subissent la concurrence déloyale d’importations qui entravent leur accès au marché.
 Sont d’abord en cause les règles actuelles du commerce international agricole, celles de l’Accord sur l’agriculture intégré aux accords de l’OMC de 1994. La conférence organisée par le Comité européen des régions (CdR) le 8 mars à Bruxelles en a débattu avec des experts du monde académique, agricole et des représentants institutionnels de la Commission et du Parlement européens.

Rappelant les conséquences des règles actuelles du commerce international sur nos territoires ruraux,  Christophe Clergeau (FR/PSE), membre du Conseil régional Pays-de-la-Loire, Vice-Président de la commission des ressources naturelles au CdR, a appelé l’UE, premier acteur alimentaire mondial, à engager un débat de fond sur ces règles, pour instaurer un commerce international plus juste et solidaire qui garantisse le maintien de l’agriculture sur l’ensemble des territoires autant en Europe que chez ses partenaires.

 Olivier De Schutter, co-président du Panel international des experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-food) a encouragé les acteurs politiques à « sortir de l’alternative binaire entre libre-échange des produits agricoles et protectionnisme »: « Pourvu que l’on prenne au sérieux l’exigence de cohérence des politiques en faveur du développement, et que l’on aligne le contenu des traités commerciaux et les politiques commerciales sur les normes sociales et environnementales qui définissent le commerce équitable, le commerce peut servir le développement humain ».

Pour Maria Heubuch (DE/Greens-EFA), Vice-Présidente de la délégation pour les relations avec le Parlement panafricain du Parlement européen il faut une réorientation de la politique commerciale: l’UE doit jouer un rôle pilote dans la construction d’un système commercial multilatéral avec de normes sociales et environnementales fortes. Plutôt que d’orienter la politique agricole vers l’exportation, il faut soutenir systématiquement les exploitations paysannes agro-écologiques ainsi que les circuits économiques régionaux dans l’UE et les pays partenaires.

Maria Arena (BE/PES) rapporteure au Parlement européen sur les répercussions du commerce international et des politiques commerciales de l’Union européenne sur les chaînes de valeur mondiales a indiqué: « Nous avons besoin de revoir les règles de l’OMC pour qu’elles soient plus justes. Mais l’OMC n’est pas suffisante. Jusqu’à présent elle a négligé les dimensions sociale et environnementale de l’agriculture. Je plaide pour une étroite coopération entre l’OMC, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement[ (CNUCED) et la FAO pour construire une Politique Alimentaire et Agricole qui respecte les orientations et les besoins des Etats et des populations locales ».

Pour Ibrahim Coulibaly, Président de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) du Mali,  » les politiques de libéralisation forcée et les accords de libre échanges qui ont suivi ont créé le désespoir chez les paysans africains et le désintérêt des jeunes pour ce secteur qui finissent pour émigrer en Europe ou troquent leurs bâtons de berger ou leur houe contre des Kalachnikov et se retournent contre leur pays. Il est temps de revenir à une intelligence collective et de donner une réelle chance à chacun pour un monde qui veut vivre en sécurité ».

http://cor.europa.eu/fr/news/Pages/Changer-les-regles-du-commerce-international.aspx

Informations complémentaires:

Avis du CdR sur « La PAC post 2020 » et sur « La régulation de la volatilité des prix agricoles »

Contact:
Wioletta Wojewodzka

Tel. +32 2 282 22 89

wioletta.wojewodzka@cor.europa.eu

          Le Comité européen des régions

Le Comité européen des régions est l’assemblée des représentants des pouvoirs locaux et régionaux des 28 États membres de l’Union européenne. Créé en 1994 à la suite de la signature du traité de Maastricht, il a pour mission d’associer les collectivités régionales et locales au processus décisionnel de l’UE et de les informer de ses politiques. Le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne ont l’obligation de consulter sur les politiques ayant un impact sur les régions et les villes. Pour siéger au Comité des régions, ses 350 membres et leurs 350 suppléants doivent tous être, dans leur région ou commune, soit titulaires d’un mandat électoral, soit politiquement responsables devant une assemblée élue. Plus d’informations sur votre délégation nationale.

 

 

Lettre ouverte: Pour sauver l’agriculture paysanne, changeons les règles actuelles du commerce international agricole

 

Pour sauver l’agriculture paysanne,

changeons les règles actuelles du commerce international agricole

 

12 décembre 2017

Lettre ouverte aux gouvernements réunis à Buenos Aires à la conférence ministérielle de l’OMC

Alors que nous faisons face à des défis majeurs en termes de sécurité alimentaire, changement climatique et transition écologique, nos politiques agricoles restent formatées par des règles du siècle passé. C’est le cas en particulier des règles du commerce international agricole, adoptées à Marrakech en 1994 et qui ont conduit à la création de l’OMC en 1995.

Ces règles ont des effets destructeurs pour les paysanneries du Nord comme du Sud : industrialisation des modes de production, accaparement des terres, financiarisation de l’agriculture, dumping économique, social et environnemental. Elles renforcent le pouvoir des sociétés transnationales, imposent des techniques de production qui nuisent aux écosystèmes et elles dégradent les régimes alimentaires. Elles ruinent les exploitations paysannes, pourtant à même de nourrir correctement la population et de préserver durablement la planète.

soya

Le bon sens voudrait que la priorité d’une bonne politique agricole soit de nourrir la population ; pourtant c’est plutôt la « compétitivité sur le marché international » qui sert aujourd’hui de moteur des politiques agricoles. L’Union européenne, par exemple, est ainsi devenue première importatrice et première exportatrice alimentaire mondiale. Faut-il en être fier ? Le haut degré de dépendance de l’agriculture et de l’alimentation vis-à-vis de l’extérieur nous laisse à la merci d’aléas géopolitiques et, par la multiplication de transports inutiles, contribue aussi au réchauffement climatique. Elle contribue aussi à maintenir les agricultures du Sud dans la position de producteurs de matières premières à bas prix.

Lorsque des porte-conteneurs européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’Océan indien des porte-conteneurs chinois remplis de pommes pour l’Europe, la planète chauffe, et certaines firmes s’enrichissent au détriment des producteurs.

Le récent livre de Jean-Baptiste Malet[1] sur le circuit mondial du concentré de tomates est un bel exemple de l’absurdité sociale et écologique des règles actuelles. Les firmes transnationales produisent là où les coûts de production sont les plus bas, pour vendre là où leurs marges bénéficiaires sont les plus grandes. On a ainsi mondialisé les marchés agricoles, entraînant les agriculteurs dans une spirale mortifère de baisse des coûts-baisse des prix.

A la base de ces règles (négociation de l’Uruguay Round, 1986-1994), les deux grandes puissances exportatrices agricoles de l’époque, USA et UE, ont réussi à blanchir le dumping de leurs excédents – bradés à bas prix vers les pays tiers- en remplaçant les subventions à l’exportation par des subventions aux exploitations agricoles découplées de la production. Ces subventions sont notifiées dans la fameuse boîte verte à l’OMC, qui n’est pas soumise à restriction et n’est pas visée par les discussions en cours à l’OMC

Les règles de l’OMC permettent à l’UE et aux USA de fournir des matières premières agricoles à l’agro-industrie et à la grande distribution à des prix souvent inférieurs au coût de production, en subventionnant les exploitations pour qu’elles continuent quand même à produire et à vendre à perte. Ces règles leur permettent aussi d’exporter vers des pays tiers pauvres incapables de subventionner leur agriculture. C’est une forme d’accaparement des marchés qui est institutionnalisée par les règles de l’OMC.

Pour le producteur de mil du Sénégal, par exemple, les farines européennes qui arrivent dans le port de Dakar sont une concurrence déloyale. Ces farines sont vendues à des prix inférieurs aux coûts de production européens, rendus possibles par les subventions de l’UE. Peu importe si ces subventions sont dans la boîte bleue, jaune ou verte de l’OMC : ces farines, comme avant l’Uruguay Round,  sont vendues sur les marchés africains à des prix qui concurrencent déloyalement les producteurs de céréales locales. Le Commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural Phil Hogan rétorquera que les subventions de la boîte verte n’ont pas d’effet distorsif sur les échanges : ce serait vrai si les produits issus des exploitations européennes n’étaient pas exportés. Sans ces subventions, un grand nombre d’exploitations de l’UE et des pays « développés » utilisant la boîte verte seraient en faillite. Il y a bien un effet distorsif par accroissement de la capacité de production et d’exportation.

Il est donc urgent de remettre en cause les règles actuelles du commerce international  et d’établir des règles justes et solidaires adaptées aux défis de ce siècle. A notre avis, ces règles doivent répondre aux objectifs de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire permettre aux Etats/Régions de définir leur politique agricole et alimentaire adaptée à leur contexte et leurs besoins, sans nuire aux économies agricoles des pays tiers, et intégrant d’autres priorités comme l’alimentation des populations locales, la valorisation des producteurs alimentaires, le travail avec la nature, etc…(comme souligné dans les 6 piliers de la déclaration du forum Nyeleni en 2007).

Il faut remettre le commerce international agricole à sa juste place, ni plus ni moins. L’import-export ne doit plus être la priorité des politiques agricoles, mais le complément de politiques axées d’abord sur une production agricole destinée à nourrir la population locale, nationale, régionale.

Mais les discussions au sein de l’OMC et l’ordre du jour de la conférence ministérielle en matière de réduction du « soutien interne » n’avancent pas dans ce sens, l’UE et les USA refusant de mettre les soutiens de la boîte verte en question. Nous appelons les gouvernements réunis à Buenos Aires à prendre la mesure des vrais enjeux et établir les bases de nouvelles règles, qui permettront des échanges internationaux plus coopératifs et d’autres politiques agricoles nationales et régionales.

Nous appelons les organisations paysannes, juristes, économistes, ONG à travailler ensemble à des propositions concrètes de nouvelles règles du commerce international agricole qui permettent aux agriculteurs du nord et du sud de vivre dignement de leur travail, d’avoir accès à leur marché local, de produire une alimentation saine et nutritive, de diminuer le réchauffement climatique et d’enrayer le déclin de la biodiversité grâce à des pratiques agricoles agro-écologiques.

Michel Buisson, auteur de ‘Conquérir la souveraineté alimentaire’ Harmattan, 2013

Gérard Choplin, analyste indépendant sur les politiques agricoles, auteur de ‘Paysans mutins, paysans demain-Pour une autre politique agricole et alimentaire’ Editions Yves Michel, 2017

Priscilla Claeys, Senior Research Fellow in Food Sovereignty, Human Rights and Resilience, Centre for Agroecology,Water and Resilience (CAWR), Coventry University (UK) and author of “Human Rights and the Food Sovereignty Movement: Reclaiming Control”, Routledge, 2015.

 

Co-signataires (ordre alphabétique, en gras = personne ou organisation signataire )

Agroecopolis – The Hellenic Network for Agroecology, Food Sovereignty and Access To Land, Greece

Aide au Développement, ADG, Gembloux, Belgique

ASEED, The Netherlands

 

Tony Allan, Prof. King’s College London.  Stockholm Water Prize Laureate 2008

Jean-Jacques Andrien, cinéaste, Belgique

Eric Andrieu, député européen, groupe Socialistes & Démocrates  S&D, France

Asian Peasant Coalition, APC

Francesco Benciolini, paysan de Associazione Rurale Italiana, Italia

Jacques Berthelot, agroéconomiste, analyste bénévole des politiques agricoles pour les organisations paysannes et ONG du Nord et du Sud, France

Michel Besson, co-auteur de “La bio, entre business et projet de société”, Editions Agone, 2013, et membre du bureau des  Amis de la Confédération paysanne, France

Patrice Burger, Centre d’Actions et de Réalisations InternationaIes, CARI, France

BEES coop – Coopérative Bruxelloise, Ecologique, Economique et Sociale, Belgique

José Bové, député européen, groupe Verts-Alliance libre européenne, France

Lijbert Brussaard, Professor emeritus, Soil Biology and Biological Soil Quality, Wageningen University & Research

Guillaume Chomé, ing. agronome, Belgique

Corporate Europe Observatory, CEO

Ibrahima Coulibaly, président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali, CNOP

Guillaume Cros, vice-président Eelv du conseil Régional d’Occitanie, membre du Comité européen des régions

Cultivate!, the Netherlands

Olivier de Schutter, former United Nations Special Rapporteur on the right to food (2008-2014)

Benoît De Waegeneer, Thematic Officer Sustainable Food System, Oxfam-Solidarité

Stéphane Desgain, chargé souveraineté alimentaire, CNCD-11.11.11, Belgique

Jan Douwe van der Ploeg, emeritus professor Wageningen University, the Netherlands

Marc Dufumier, Auteur de Famine au Sud, Malbouffe au Nord, Edition NiL, 2012.

Patrick Dupriez, co-président Ecolo, Belgique

Marc Edelmann, Professor of Anthropology, Hunter College and the Graduate Center, City University of New York

 

Escuela Agroecológica y Política “Machete y Garabato”, Ecuador

Farmers For Action, UK

FIAN Belgium

FIAN Ecuador

Simon Fairlie, The Land magazine, UK.

Pierre Galand, président du Forum pour un Contrat de Génération Nord Sud asbl, Belgique

Fuensanta García Orenes, Responsible of environmental area of Miguel Hernandez University (Elche-Spain) and researcher of ISQAPER project.

Susan George, Fellow of the Royal Society of Arts, FRSA, Ph.D.  Ecrivain

Michèle Gilkinet, MPOC, mouvement politique des objecteurs de croissance, Belgique

Bruno Goffart, administrateur Wwoof Belgium

Christophe Golay, auteur de « Droit à l’alimentation et accès à la justice », Bruylant, 2011

Jean-Claude Grégoire, ing. agronome, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles

Elizabeth Henderson, organic farmer, Newark, New York, US

Danielle Hirsch, Director, Both ends, The Netherlands

Anita Idel, Dr. med. vet., Mediation and Project Management Agrobiodiversity, Feldatal (Germany)

Michel Installé, professeur émérite, Université catholique de Louvain

Instituto de Estudios Ecuatorianos, Ecuador

Intal Globalize Solidarity, Belgique

Kilusang Magbubukid ng Pilipinas, KMP

Nicolas Jaquet, Président de l’Organisation des Producteurs de Grains, France

Michel-Jean Jacquot, ex-directeur du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, FEOGA,UE

Thierry Kesteloot, chargé de plaidoyer sur les politiques agricoles et alimentaires à Oxfam-Solidarité, Belgique

Marie-Paule Kestemont, professeur, Université catholique de Louvain

Jean-Christophe Kroll, enseignant-chercheur en Economie et politique agricole, professeur émérite de l’enseignement supérieur agronomique, membre de l’Académie d’Agriculture, France

Tom Kucharz, Ecologistas en Acción (Spain)

Landworkers’ Alliance, UK

Bernard Lannes, Président de la Coordination Rurale Union nationale, France

Paul Lannoye, Député européen honoraire, Président du Grappe asbl

Latin America Solidarity Centre, LASC, Ireland

Henri Lecloux, agriculteur retraité, Belgique

Patrick Le Hyaric, député européen, Vice-président, groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte Nordique,

Laurent Levard, co-animateur agriculture de la France insoumise

René Louail, ancien membre du Comité de coordination de la Coordination européenne Via campesina, France

Gustave Massiah, économiste, France

Alicia Morugan Coronado, environmental researcher of ISQAPER Project, Spain

Mouvement d’Action Paysanne, MAP, Belgique

Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne, MRJC, France

National Family Farm Coalition, NFFC, USA

Maria Noichl, Mitglied des Europäischen Parlaments, S&D, Österreich

Kaul Nurm, Former secretary general of the Estonian Farmers Federation

Observatorio del Cambio Rural , OCARU, Ecuador

Chris O’Connell, PhD researcher, Dublin City University, Ireland

Österreichische Bergbauern Vereinigung, ÖBV-Via Campesina Austria

Torgny Östling, dairy and forest farmer, Nordbruk, Swedish organisation of Via Campesina

Maurice Oudet, président du Service d’Editions en Langues Nationales, SEDAN, de Koudougou au Burkina Faso

Raj Patel, Research Professor, L.B. Johnson School of Public Affairs, The University of Texas at Austin, USA

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne, France

Platform Aarde Boer Consument, the Netherlands

RIPESS intercontinental, Réseau Intercontinental pour la Promotion de l’Economie Sociale et Solidaire

Catherine Ronse, artisane en boulangerie, Belgique

Sir Julian Rose, Jadwiga Lopata, President/Vice President, International Coalition to Protect the Polish Countryside

Laurence Roudart, professeur, Université libre de Bruxelles

Seattle to Brussels Network – S2b

SOMO,  Centre for Research on Multinational Corporations

Michel Sorin, ingénieur agronome, membre du Mouvement Républicain et Citoyen,MRC 53, et à Réseau CiViQ

SOS Faim, Belgique

Marc Tarabella , député européen, groupe S&D , Belgique

Mark Tilzey, Senior Research Fellow, Governance of Food Systems for Resilience Centre for Agroecology, Water and Resilience Coventry University, UK

Toekomstboeren, The Netherlands

Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC France

URGENCI, International network of Community Supported Agriculture

Védegylet Egyesület, Hungary

Women’s International League for Peace and Freedom, Dutch section, WILPF-NL

Arnaud Zacharie, secrétaire général du Centre national de coopération au développement, CNCD-11.11.11, Belgique

1] « L’empire de l’or rouge, enquête mondiale sur la tomate d’industrie » – Fayard – 2017

PAC 2020: avis du Comité UE des Régions: pour une PAC juste, durable et solidaire

Communiqué de presse
 

CoR/17/98.fr
Bruxelles, le 13 juillet 2017

 

Réforme de la Politique Agricole Commune:

Les élus locaux et régionaux demandent une PAC juste, durable et solidaire

Le Comité européen des régions a adopté ses recommandations pour la réforme de la politique agricole commune (PAC) d’après 2020. Elles visent à maintenir une agriculture de qualité, durable, au prix juste et pourvoyeuse d’emplois correctement rémunérés, sur tous les territoires de l’Union européenne, conformément à l’objectif de cohésion territoriale. Il s’agit également de rendre la PAC plus conforme aux attentes des citoyens et de légitimer son budget. Les recommandations de l’Assemblée européenne des élus locaux et régionaux viennent renforcer les principaux résultats de la consultation publique sur l’avenir de la PAC (publiés le 7 juillet), qui indiquent que cette politique doit continuer à être gérée au niveau de l’UE et que le soutien aux agriculteurs et la protection de l’environnement devraient être ses principaux objectifs.

Rapporteur-Cros

L’avis, adopté à une large majorité en session plénière le 12 juillet, est la réponse du Comité européen des régions (CdR) à la demande de la Commission européenne de participer à un exercice de prospective sur la PAC d’après 2020. Il représente sa contribution au processus de consultation mené en amont de la publication de la Communication de la Commission sur la modernisation de la PAC prévue pour la fin de cette année, suivie par une proposition législative attendue pour les premiers mois de 2018.

Si le Comité met en avant les points forts de l’agriculture européenne, parmi lesquels sa grande diversité, les atouts naturels de ses zones agricoles et sa capacité d’innovation, il insiste néanmoins sur les défis auxquels l’agriculture et les territoires ruraux sont confrontés, qui rendent une réforme de la PAC indispensable: entre autres, chute de 20 % du nombre d’ exploitations entre 2007 et 2013, inégalités importante dans la distribution des paiements directs, concentration croissante de la production, faiblesse des revenus pour nombre d’agriculteurs, défis environnementaux, climatique et de santé publique, et le creusement des écarts de développement entre zones rurales et urbaines.

Devant ce constat, le rapporteur Guillaume Cros (FR/PSE), Vice-président du conseil régional d’Occitanie souligne: « Nous voulons tous des territoires ruraux vivants, dynamiques et innovants. Cela ne se fera pas sans augmenter fortement l’attractivité du métier d’agriculteur et sans sa reconnaissance économique grâce à un revenu agricole juste et stable, d’abord tiré de la vente des produits, c’est-à-dire du marché. Il nous faut donc réguler les marchés agricoles, non seulement pour prévenir les crises sectorielles mais aussi parce que cela coûte beaucoup moins cher que d’intervenir a posteriori. Par ailleurs, le fait que 80% des exploitations agricoles reçoivent seulement 20% des paiements directs, comme vient de le confirmer la Commission européenne, appelle à une répartition plus juste et plus légitime vis-à-vis des contribuables. »

 Premier pilier: marchés, prix, revenus agricoles et environnement

Pour le CdR, le budget de la PAC doit être maintenu à un niveau suffisant. Il rejette l’idée d’un cofinancement du premier pilier de la PAC – comme évoqué par la Commission européenne dans son document de réflexion sur l’avenir des finances de l’UE – qui reviendrait à renationaliser la PAC, pèserait sur les budgets des régions et défavoriserait les Etats plus pauvres de l’UE.

 Concernant les paiements directs, liés à la superficie, les élus locaux préconisent de les plafonner et de les moduler, en tenant du compte des actifs sur l’exploitation. L’objectif est notamment de soutenir les petites exploitations familiales et l’installation des jeunes agriculteurs. Le CdR appelle par ailleurs à une réduction de l’écart des niveaux de paiement direct entre les exploitations agricoles et entre les Etats membres.

Autre recommandation forte: l’UE, première importatrice et exportatrice de denrées alimentaires, doit peser au niveau international pour modifier les règles actuelles du commerce international agricole et garantir des conditions d’équité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers. La priorité doit être donnée aux agricultures familiales axées sur les marchés locaux et régionaux et aux circuits courts.

Les membres du Comité rappellent que la position des producteurs agricoles est souvent trop faible par rapport à celle de l’agro-industrie et de la grande distribution et préconise une concertation accrue dans les filières pour une répartition équitable des marges.

« La question environnementale doit cesser d’être un lieu de bataille entre agriculteurs et environnementalistes. Les enjeux de sûreté alimentaire, de santé publique, de biodiversité, de ressources hydriques, de fertilité des sols et de changement climatique sont les mêmes pour tous », prévient Guillaume Cros. A ce propos, les élus locaux recommandent un renforcement des mesures bénéfiques au climat et à l’environnement, à travers notamment la rotation des cultures, le maintien de l’interdiction du labour des prairies permanentes, et des zones d’intérêt écologique sans culture ni utilisation de produits phytosanitaires.

Second pilier: développement rural

Les zones rurales et les régions intermédiaires représentent plus de 90 % du territoire de l’UE, 60 % de sa population, et plus de 50 % de ses emplois y sont implantés. C’est pourquoi le CdR demande un renforcement du second pilier de la PAC, et une plus grande marge de manœuvre donnée aux Etats membres pour transférer des fonds du premier au second pilier.

Le CdR propose par ailleurs d’augmenter la contribution globale de l’UE aux zones rurales, qui a fortement diminuée, et de simplifier l’intégration des ressources des différents fonds finançant le développement rural. Ce faisant, il s’agirait notamment de mettre en avant l’innovation technique et sociale, la formation professionnelle, le maintien de services publics locaux, et la suppression de la fracture numérique.

http://cor.europa.eu/en/news/Pages/Reforme-de-la-Politique-Agricole-Commune.aspx

– Avis du CdR sur « La PAC post 2020 » (la version consolidée avec les amendements sera disponible dans les prochains jours)

– Les photos de la session plénière sont disponibles sur notre galerie Flickr

Contact:
Nathalie Vandelle Tel. +32 2 282 24 99 nathalie.vandelle@cor.europa.eu

 

Le Comité européen des régions

Le Comité européen des régions est l’assemblée des représentants des pouvoirs locaux et régionaux des 28 États membres de l’Union européenne. Créé en 1994 à la suite de la signature du traité de Maastricht, il a pour mission d’associer les collectivités régionales et locales au processus décisionnel de l’UE et de les informer de ses politiques. Le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne ont l’obligation de consulter sur les politiques ayant un impact sur les régions et les villes. Pour siéger au Comité des régions, ses 350 membres et leurs 350 suppléants doivent tous être, dans leur région ou commune, soit titulaires d’un mandat électoral, soit politiquement responsables devant une assemblée élue. Plus d’informations sur votre délégation nationale.

 

 

Le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents dans la Déclaration ONU sur les droits paysans

« On a trouvé en bonne politique l’art de faire mourir de faim

ceux qui en travaillant la terre nourrissent les autres ».  Voltaire

paysans en colère

FIAN INTERNATIONAL – NOTE D’ANALYSE – AVRIL 2017
Par Gérard Choplin et Priscilla Claeys

version pdf: droits_revenus_decents_FR_FINAL

Priscilla Claeys est chercheure au Centre for Agroecology, Water and Resilience, (CAWR), Coventry University (UK). Elle est l’auteure de « Human Rights and The Food Sovereignty Movement. Reclaiming Control », Routledge (2015). Elle remercie tout particulièrement Stefania Errico qui a contribué à cette note par sa relecture attentive et ses conseils.

Le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents

dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans

et des autres personnes travaillant dans les zones rurales

Cette note d’analyse sur le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents fait partie de la deuxième série de notes publiées par FIAN International dans le but d’alimenter les débats autour du projet de texte de Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.

La première série de notes d’analyse recouvrait les thèmes suivants : les droits à la souveraineté sur les ressources naturelles, au développement et à la souveraineté alimentaire, le droit à l’alimentation et le droit à la terre et aux autres ressources
naturelles. Cette série analyse la version 2015 du projet de Déclaration.

La deuxième série de notes d’analyse recouvre les thèmes suivants : le droit des femmes rurales, le droit aux semences et le droit à l’eau et à l’assainissement. Cette seconde série s’appuie sur la version 2016 du projet de Déclaration. Enfin, cette note d’analyse sur le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents se base sur la version 2017 du projet de Déclaration. Merci de tenir compte du changement de numérotation des articles entre la version 2016 et 2017 du projet de Déclaration.

L’ensemble de ces notes d’analyse sont disponibles sur nos sites web : http://www.fian.be/ et http://www.fian.org/

Le travail décent est l’un des 17 objectifs du « Programme de développement durable à l’horizon 2030 », approuvé par les Nations Unies au 1er janvier 2016. L’objectif 8 vise à atteindre le plein emploi et le travail décent pour tous, et en particulier les jeunes. La création et le maintien d’emplois stables et rémunérés est un défi important en milieu rural. En effet, le vieillissement de la population agricole et l’exode rural des jeunes pourraient mener rapidement à une pénurie de main d’œuvre qualifiée, tant au Nord qu’au Sud, et affecter négativement la sécurité alimentaire(1).  Le droit à un travail décent est couvert par l’article 13 de la version avancée 2017 du projet de Déclaration. Cette note d’analyse élabore le contenu de l’article 16 sur le droit à un revenu et des moyens de subsistance décents. Le respect de ce droit est essentiel pour que ceux et celles qui « nourrissent les autres » puissent se nourrir eux-mêmes et vivre de leur travail.

1. DÉFINITION : LE DROIT À UN REVENU ET À DES MOYENS DE SUBSISTANCE DÉCENTS
Le droit à un revenu et à des moyens de subsistance signifie que les paysan-ne-s et autres personnes travaillant en milieu rural doivent avoir un revenu et des moyens de subsistance suffisants pour vivre dignement et réaliser leurs droits fondamentaux, comme leurs droits à l’alimentation, à la santé, à la sécurité sociale, au logement, à l’éducation, etc. L’article 16 du projet de Déclaration précise que les paysan-ne-s et autres producteurs ruraux (pêcheuses/pêcheurs, bergères/bergers, cueilleuses/cueilleurs, artisane-s, etc.) « ont droit, pour eux-mêmes et pour leur famille, à des revenus et moyens de subsistance décents, ainsi qu’aux moyens de production nécessaires à leur réalisation» (paragraphe 1). Cela veut dire qu’ils-elles doivent vivre d’abord de leur production et non de subsides ou d’aide alimentaire.

Pour les paysans-ne-s et autres producteurs ruraux (pastoralistes, pêcheurs, artisans,…) tirant leur revenu de la vente de tout ou partie de leur production, l’article fait référence aux « politiques et programmes concernant le développement rural, l’agriculture, l’environnement, le commerce et l’investissement » mises en place au niveau local, national, régional et international. Le revenu, c’est la différence entre le prix de vente sur le marché et les coûts (coûts de production et amortissement des investissements). Si les paysan-ne-s ont quelque prise sur leurs coûts de production et leurs investissements, ils n’en ont généralement très peu, voire pas du tout, sur les prix de vente. Obtenir un revenu décent grâce à la vente de sa production est donc loin d’être une réalité : ce devrait pourtant être le principe de base de toute politique agricole.
C’est encore plus difficile pour les petites exploitations, qui ne bénéficient pas, comme les grandes, de réduction des coûts de production (achat des intrants en gros) ou de facilités de crédits pour investir, voire de prix plus élevés. Si le cadre des politiques agricoles est formaté par les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il reste des marges de manœuvre importantes pour les États membres, qui peuvent orienter une partie de leur politique en faveur ou contre l’agriculture paysanne, ce qui peut améliorer ou empirer les conditions du revenu agricole.

Pour les paysan-ne-s ou autres producteurs ruraux en auto-subsistance, la question est de savoir s’ils ont accès à des moyens de production suffisants pour pouvoir vivre dignement. L’accès à la terre, aux moyens de production, aux semences et à l’eau est crucial pour la majorité des producteurs ruraux des pays « en développement» qui ne tirent pas ou peu de revenu financier de leurs activités et dont le travail de la terre, l’élevage, la cueillette et/ou la pêche visent essentiellement la subsistance de la famille ou du groupe. Les articles 17, 19 et 21, du projet de Déclaration concernent spécifiquement les droits à la terre, aux moyens de production, aux semences et à l’eau (2).

Enfin, pour les ruraux agricoles non paysan-ne-s (travailleurs agricoles, saisonniers, sans terre, travailleurs migrants,…) et autres ruraux qui tirent leurs moyens de subsistance de services qu’ils proposent à la population, l’article 16 vient en complément de l’article 14 sur le droit à la sécurité et la santé au travail, car ce travail doit être suffisamment rémunéré pour pouvoir en vivre dignement.

L’article 16 stipule également que les paysan-ne-s et autres personnes travaillant en milieu rural ont le droit de « développer des systèmes de commercialisation communautaires » et que la vente directe du producteur au consommateur devrait être encouragée (paragraphe 1). Cela signifie que les paysan-ne-s doivent avoir la possibilité de se regrouper pour vendre collectivement à un grossiste, une industrie de transformation, ou directement aux consommateurs. Ils peuvent le faire sous forme de coopérative de production ou de transformation, de groupement de collecte, de magasin de vente de produits fermiers, ou sous forme de contrat entre un groupe de producteurs et un groupe de consommateurs (3). Ils peuvent aussi s’associer en petit groupe pour transformer leurs produits dans un atelier artisanal de transformation. L’enjeu est chaque fois d’améliorer le rapport de force vis-à-vis de l’industrie ou du grossiste, d’augmenter la part qui leur revient de valeur ajoutée, et/ou de tisser des liens durables et équitables avec des consommateurs de leurs produits. Cela nécessite généralement une amélioration des normes de commercialisation et de transformation artisanale des produits, aujourd’hui le plus souvent définies à partir de critères industriels hygiénistes qui sont une contrainte importante pour la transformation artisanale et la vente directe à petite échelle.

Le droit à un revenu et à des moyens de subsistance décents peut s’exercer au niveau individuel, d’une famille, d’un groupe, d’un village ou d’une coopérative, à condition que chaque personne bénéficie équitablement du revenu du travail collectif auquel elle a contribué. Le respect de ce droit est particulièrement important pour les femmes
paysannes et autres femmes travaillant en milieu rural, étant donné les défis auxquelles celles-ci sont confrontées en termes d’accès à la terre, à la participation à la prise de décision et à un salaire équitable et équivalent à celui des hommes pour un travail égal (4), étant donné les charges familiales qui leur incombent par ailleurs de manière disproportionnée.

2. QUELLES OBLIGATIONS POUR LES ÉTATS ?

L’article 16 stipule que « Les États prendront des mesures appropriées pour renforcer et soutenir les marchés locaux, nationaux et régionaux, de manière à les faciliter, et pour assurer aux paysans et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales un accès et une participation entiers et équitables à ces marchés afin d’y vendre leurs produits à des prix leur permettant, ainsi qu’à leur famille, de bénéficier d’un niveau de vie adéquat. Les prix devraient être fixés dans le cadre d’un processus équitable et transparent faisant appel à la participation des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et de leurs organisations » (paragraphe 3).

Dans la grande majorité des pays, les prix agricoles sont des prix de marché, qui s’établissent plus ou moins en fonction de l’offre et de la demande, mais aussi en fonction des rapports de force entre acheteur et vendeur. Dans certains pays ou régions, il peut y avoir des interprofessions, où siègent producteurs, transformateurs, distributeurs qui fixent des prix pour une certaine période dans le cadre d’accords sectoriels. Il y a eu aussi dans le passé, par exemple en Europe avant 1992, des «politiques de prix » qui garantissaient des prix minimum aux producteurs. Ces politiques ont été réduites ou supprimées dans les dernières décennies avec la mise en œuvre de politiques néolibérales.

La mise en œuvre d’un processus de fixation des prix équitable et transparent impliquant paysan-ne-s et ruraux, qui tiendrait compte des coûts de production – pour obtenir un revenu décent -, implique donc des réformes radicales des politiques agricoles et commerciales actuelles.

Préalable pour mettre en œuvre des politiques agricoles nationales justes et durables, les États doivent, ensemble, entreprendre de modifier les règles actuelles du commerce
international (accord GATT/OMC de 1994 et autres accords de « libre »-échange).

L’accès à un revenu décent à partir des prix de vente et l’accès au marché ont été rendus difficiles depuis l’accord GATT/OMC de 1994, qui formate les politiques agricoles des 162 États signataires de cet accord et limite fortement l’utilisation de ces politiques comme outils permettant de garantir des prix rémunérateurs. Il en va de même pour les dizaines d’accords dits de « libre »-échange, qui renforcent la priorité donnée aux importations/ exportations, au détriment du commerce local/régional.

L’article 16 ne pourra être mis en œuvre sans règles justes organisant le commerce multilatéral. Le commerce devrait donner la priorité à l’importation des produits régionaux que l’on ne peut produire au niveau national et à l’exportation des produits, si possible à haute valeur ajoutée, que les autres régions/pays ne produisent pas. Par
ailleurs, les données historiques et pédoclimatiques font que certaines régions du monde (Afrique du Nord, Moyen-Orient, Bangladesh, etc.) resteront longtemps déficitaires en céréales, base de la sécurité alimentaire et que d’autres régions (États-Unis, Canada, Brésil, Argentine, Australie, etc.) resteront longtemps excédentaires. Le commerce
international qui en résulte doit se faire de manière équitable et sans dumping (5), c’est-à-dire sans affecter la capacité des paysans d’autres pays de vivre de leur travail.

Ensuite, les États, en fonction de leur situation, peuvent adopter une série de politiques publiques amenant à des prix agricoles justes et des revenus décents :

• Engager des politiques de régulation des marchés pour stabiliser les prix
Si l’on veut maintenir des prix justes, il faut empêcher la formation d’excédents ou de pénuries structurelles sur les marchés. Pour cela, les États doivent mettre en œuvre des politiques sectorielles de régulation des marchés, qui préviennent les crises. On le voit aujourd’hui, où la suppression des régulations internationales et nationales, à quelques exceptions près (6), entraîne une très grande volatilité des prix agricoles, qui est  favorable à la spéculation et détruit l’agriculture paysanne.

• Développer des interprofessions sectorielles fixant des prix justes
Au niveau national ou d’unions d’États, des interprofessions par secteur de production, regroupant les acteurs de la filière, avec participation de l’État et des consommateurs,
devraient avoir le droit de fixer les prix, pour une période définie, aux différents stades de la filière. Ces prix doivent accorder une juste répartition de la valeur ajoutée, en particulier pour les paysan-ne-s. En cas de crise conjoncturelle d’excédent (ou de pénurie) due à des conditions climatiques défavorables, des prix minimum (et maximum) doivent être fixés, qui préservent le revenu des producteurs (et donc le pouvoir d’achat des consommateurs pauvres).

• Favoriser l’agriculture paysanne au détriment des grandes exploitations mondialisée

En modifiant les politiques d’accès à la terre, de subvention, d’accès au crédit, et en créant et développant des normes agroécologiques de production qui sauvegardent
l’environnement, la biodiversité et la fertilité de sols, les États peuvent améliorer les conditions qui déterminent la viabilité de l’agriculture paysanne. Il s’agit en particulier
de mettre en oeuvre les articles 17 (droit à la terre) à 21 (droit à l’eau) du projet de Déclaration.

  • Modifier les règles de concurrence et de transparence des marché                     Les états doivent enrayer la domination des oligopoles de la grande distribution et de l’agro-industrie, qui contrôlent les marchés nationaux et internationaux. En modifiant le droit de la concurrence, ils peuvent renforcer le pouvoir des producteurs en faveur d’une formation des prix qui rémunère le travail de tous les acteurs de la chaîne, en commençant par les paysan-ne-s et non en finissant par
    eux. Il faut en finir avec le prélèvement systématique de la valeur ajoutée du travail paysan par l’amont et l’aval, en rémunérant à sa juste valeur chaque acteur de la filière alimentaire.
    • Favoriser les marchés locaux et les commercialisations
    collectives et directes
    L’accès au marché local, que ce soit pour le producteur ou le consommateur, doit être une priorité. Les États doivent encourager et aider au développement de groupements de producteurs, de groupes producteurs-consommateurs, de vente directe à la ferme ou sur les marchés locaux. Ils doivent freiner/stopper l’implantation de supermarchés, souvent dévoreurs de terres agricoles, et le regroupement de ces chaînes de supermarchés dans des centrales d’achat oligopolistiques. Les États ne doivent pas entraver mais faciliter les initiatives de circuits courts qui renforcent les liens entre producteurs et consommateurs.
    • Favoriser la transformation artisanale des produits agricoles en élaborant des normes spécifiques
    Les États peuvent encourager le développement des marchés locaux en élaborant des normes spécifiques à la production paysanne et à la transformation artisanale des produits agricoles, de manière à permettre aux paysans de garder une plus grande part de la valeur ajoutée de leurs produits. Ces normes doivent être adaptées aux conditions de transformation à petite échelle, c’est-à-dire moins contraignantes que les normes industrielles ayant souvent cours mais néanmoins sûres. Il en va de même pour les normes de commercialisation des produits agricoles bruts (forme, calibrage, couleurs, etc.                                                                                                                                                                                                                                Points d’attention et recommandations pour améliorer la version actuelle de l’article
  • Afin de parvenir à des politiques agricoles assurant aux paysan-ne-s un revenu décent de la vente de leurs produits, il est recommandé de faire référence à la modification nécessaire des règles actuelles du commerce international agricole, en mettant ce dernier à sa juste place. Le niveau international n’est en effet pas mentionné dans la formulation actuelle de l’article 18. Un nouveau paragraphe 3 pourrait avoir la formulation suivante: « Les États doivent, ensemble, changer les règles actuelles du commerce international agricole, afin de leur permettre de répondre, par des politiques agricoles et commerciales appropriées, à leurs obligations, et de mettre en œuvre la souveraineté alimentaire. »
  • Au paragraphe 3, le mode de fixation du prix pourrait être précisé de la manière suivante, en impliquant toute la filière sectorielle et les consommateurs, et pas seulement les paysan-ne-s : « … Ces prix sont fixés par un processus équitable et transparent impliquant tous les acteurs de la filière sectorielle, incluant les organisations paysannes, de consommateurs et de travailleurs agricoles. »
  • Le paragraphe 3 pourrait être renforcé en incluant de manière explicite l’obligation pour les États de réguler les marchés, pour permettre une stabilité des prix nécessaire au maintien d’une agriculture paysanne, et de modifier les règles de concurrence et de transparence des marchés de façon à interdire l’abus de pouvoir, les positions dominantes et le dumping à l’exportation.
  •  Au paragraphe 3, il est suggéré d’inclure des dispositions concernant les subventions et les aides publiques à l’agriculture, afin qu’elles soient octroyées en priorité aux paysan-ne-s les plus en difficulté et en veillant à ce que ces subventions ne nuisent pas aux producteurs d’autres régions ou pays.
    • Au paragraphe 3, il est recommandé de faire référence à une obligation pour les États de faciliter, à travers des normes différenciées et appropriées différentes de l’industrie, la transformation artisanale des produits paysans et la vente directe, qui permet aux paysan-ne-s de garder une plus grande part de valeur ajoutée de leurs
    produits.                                                                                                                                                                                                                                                                                  3. QUELLES SONT LES SOURCES DE DROIT INTERNATIONAL SUPPORTANT LA
    RECONNAISSANCE DE CE DROIT ?
    Le « droit à un niveau de vie suffisant » est reconnu dans les principaux instruments du droit international des droits de l’Homme. Il est reconnu dans l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH), qui précise que ce niveau de vie doit être suffisant pour « assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, le logement, les soins médicaux
    ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25.1 de la DUDH). L’article 25 vient compléter l’article 23 sur le droit au travail, qui reconnaît le droit de toute personne au libre choix de son travail et à « une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale» (article 25.3 de la DUDH).
    Le droit à un niveau de vie suffisant est réitéré dans l’article 11 du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). L’article 11 vient compléter les articles 6 et 7, dédiés respectivement au droit au travail et au droit à des conditions de travail justes et favorables (7). Le droit à un niveau de vie suffisant inclut explicitement le droit à une alimentation adéquate, au logement
    et à l’amélioration continue des conditions d’existence (article 11.1 du PIDESC).
  • Pour une partie importante de la population mondiale vivant en auto-subsistance, le droit à un niveau de vie suffisant est directement lié au droit à assurer ses moyens d’existence et ceux de sa famille par le biais d’une activité en lien avec l’accès à et l’utilisation des ressources naturelles (agriculture, pêche, élevage ou pastoralisme, cueillette). Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a ainsi insisté sur l’obligation des états de mettre en œuvre de manière proactive des activités visant à renforcer l’accès de la population aux ressources naturelles pour qu’elle puisse assurer ses moyens d’existence(8). L’importance du rôle de l’État dans la création et le maintien d’emplois en milieu rural a également été soulignée dans les Directives volontaires sur le droit à l’alimentation(9). La mise en œuvre du droit à un niveau de vie suffisant pour les paysan(ne)s et autres personnes travaillant en milieu rural tel que reconnu à l’article 18 du projet de
    Déclaration ne peut donc faire l’impasse sur la mise en œuvre des articles 19 à 24 qui couvrent l’accès aux ressources naturelles et aux moyens de production pour ces populations.
    Pour les paysans-ne-s et autres producteurs ruraux (pastoralistes, pêcheurs, artisans,…) tirant leur revenu de la vente de tout ou partie de leur production, le droit à un niveau de vie suffisant découle essentiellement de l’accès au marché et de l’accès à des prix de vente couvrant les coûts de production et permettant de réaliser leurs droits fondamentaux. Un certain nombre d’instruments internationaux se sont penchés sur cette question. Le Comité pour la sécurité alimentaire mondiale a adopté une série de recommandations sur le lien entre les petits exploitants et les marchés (10). Ces recommandations insistent sur l’importance de promouvoir des chaines d’approvisionnement courtes permettant aux petits producteurs d’obtenir un meilleur revenu pour leur production (xviii), de fournir aux petits producteurs des prix équitables et transparents qui rémunèrent adéquatement leur travail et leurs investissements (ii) et de soutenir le développement de marchés liés à des systèmes alimentaires locaux, nationaux et régionaux (xiii). La Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles insiste elle aussi sur l’importance de favoriser des marchés locaux et régionaux viables (article 14)                                                                                                                                                               Le Programme de l’OIT pour l’emploi et le travail décent en zone rurale inclut une série de directives visant l’amélioration des opportunités d’accès au marché pour les petits producteurs, en soutenant leur participation aux chaînes de valeur nationales et globales. Par ailleurs, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT a considéré, dans son analyse des questions relatives à la Convention No. 111 sur la discrimination (emploi et profession) que l’accès au marché devait être fourni sans aucune forme de discrimination. Enfin, la Recommandation No. 204 concernant la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle liste l’accès aux marchés comme une mesure essentielle pour faciliter cette transition, de même que la promotion des petites entreprises et autres formes de modèles économiques comme les coopératives et l’économie sociale et  solidaire.
    Pour les ruraux agricoles non paysan-ne-s (travailleurs agricoles, saisonniers, sans terre, travailleurs migrants,…), le droit à un niveau de vie suffisant découle avant tout du droit à un travail décent. Les droits au travail, à des conditions de travail justes et favorables et à des moyens d’existence décents sont détaillés dans l’article 14 du projet de Déclaration. Ils sont également reconnus et protégés
    par des nombreux instruments de l’Organisation internationale du travail (OIT), tels que les Conventions No.155 et No.184 sur la sécurité et la santé des travailleurs,
    la Recommandation No. 132 relative aux fermiers et métayers, la Convention No. 110 relative aux plantations, la Convention No. 117 sur la politique sociale et la
    Convention No. 122 sur la politique de l’emploi ainsi que la Recommandation No. 169 qui lui est associée. Ces droits sont par ailleurs affirmés dans la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (11), adoptée en 2008 et dans la Déclaration de Philadelphie (annexe à la Constitution de l’OIT12), qui placent l’emploi décent pour tous au coeur des politiques nationales et
    internationales. En ce qui concerne l’égalité de genre, elle est reconnue par la Convention No. 100 concernant l’égalité de rémunération et la Convention No. 111 sur la discrimination (emploi et profession).
    Enfin, pour les femmes paysannes et autres femmes travaillant en milieu rural, la réalisation du droit à un niveau de vie suffisant requiert avant tout l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes qui persistent dans l’exercice de leur droit au travail et notamment leur droit à un revenu égal pour un travail égal. L’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) reconnaît les enjeux spécifiques auxquels sont confrontées les femmes rurales. La Recommandation générale 34 sur les droits des femmes rurales, récemment adoptée, clarifie les obligations des États en la matière. Le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes insiste par exemple sur l’obligation des États d’incorporer le droit des femmes à des conditions de travail décentes dans leurs cadres politiques et légaux (paragraphe 50), de renforcer les économies rurales locales et la création d’opportunités d’emploi local et de moyens d’existence pour les femmes (paragraphe 51) et d’améliorer les conditions de travail des femmes rurales en mettant fin à l’exploitation et aux abus, et notamment
    au harcèlement sexuel (paragraphe 52).4. POURQUOI RECONNAÎTRE CE DROIT POUR LES PAYSAN-NE-S ?
    Parce qu’un revenu décent de la production agricole ne va pas de soi, les paysan-ne-s étant soumis à des marchés souvent mondialisés où les prix sont souvent des prix d’excédents trop bas.
  • Pour les paysan-ne-s des 162 pays membres de l’OMC, c’est-à-dire presque toute la planète, c’est l’accord GATT signé à Marrakech en 1994 (13), instituant l’OMC, qui a fixé les règles du commerce international agricole, auxquelles les politiques agricoles des pays membres sont tenues de se conformer, sous peine de sanction en cas de plainte d’un autre État membre. Depuis, se sont ajoutés des accords de «libre» -échange qui vont souvent plus loin dans la dérégulation néo-libérale.
  • Dans ce cadre, les prix du marché ont peu à voir avec les coûts de production mais résultent le plus souvent des bonnes ou mauvaises récoltes du pays exportateur ayant le plus bas coût de production: c’est ainsi que les conditions météorologiques en Nouvelle-Zélande déterminent le prix du lait en Europe comme en Inde. Et ce prix est régulièrement en-dessous des coûts de production, ruinant les producteurs les plus fragiles. De plus, ces règles ont été fixées de manière très injuste pour les pays « en développement », puisqu’elles permettent aux pays « développés» d’exporter leurs produits agricoles à des prix inférieurs à leurs coûts de production, grâce à des subventions indemnisant leurs producteurs.                                                                                                                                                         Parce qu’un accès au marché local est souvent indispensable à leur revenu et favorise la sécurité et l’autonomie alimentaires locales de la population.
    Pour tirer un revenu décent de la vente, il faut pouvoir vendre, donc avoir accès à un marché, et ensuite obtenir un prix rémunérateur sur ce marché. L’accès rapide
    au marché est d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit de produits frais (produits laitiers, œufs, fruits, légumes, etc.) ou d’autres produits que le/la paysan-ne ne peut stocker. Cet accès est facilité lorsque le/la paysan-ne est membre d’une coopérative ou d’un groupement de producteurs qui, en principe (14), défend les intérêts des producteurs. Lorsque le/la paysan-ne est seul-e face à un marchand, un grossiste,
    ou à une usine de transformation privée, son pouvoir de négociation est souvent très limité. Par ailleurs, l’accès au marché local est souvent entravé par des importations à bas prix en provenance d’autres pays. C’est le cas par exemple des producteurs de lait, de poulet, de riz, etc. d’Afrique, confrontés au dumping des excédents de l’UE, des États-Unis, ou d’Asie du Sud. Si les règles de l’OMC permettent aux pays « en développement » de se protéger quelque peu de ces importations par des droits de douane, ceux-ci sont souvent réduits ou supprimés sur « ordre » de la Banque mondiale, du Fond Monétaire International (FMI) ou dans le cadre d’accords de « libre »-échange. C’est aussi le cas pour les paysan-ne-s des pays développés, lorsque des firmes agro-alimentaires délocalisent une production au Sud pour bénéficier de bas salaires, et la « rapatrient » ensuite sans droit de douane. L’accès au marché suppose des infrastructures de transport et de conditionnement suffisantes pour des produits périssables. Il suppose aussi des normes sanitaires et des normes de production qui soient compatibles avec une
    production paysanne.
  • Parce que les paysans sont écrasés par les firmes agroalimentaires et les puissances financières qui font pression sur toute la filière alimentaire pour obtenir des prix bas.
    Dans les dernières décennies, la commercialisation des produits alimentaires s’est fortement concentrée entre les mains de grands groupes internationaux qui contrôlent la très grande partie du commerce alimentaire et qui s’implantent
    de plus en plus dans les villes en expansion. Ces grandes chaînes de supermarchés et centrales d’achat profitent des règles du commerce international leur permettant
    de faire leurs achats à moindre coût sur la planète. Elles sont devenues des puissances financières leur permettant de faire pression sur toute la filière alimentaire. Très souvent, le droit de la concurrence, qui interdit en principe la constitution de monopoles et les ententes sur les prix entre industriels ou entre distributeurs, a laissé se constituer des groupes très puissants contrôlant une trop grande part de marché. Par contre ce même droit de la concurrence est toujours prompt à condamner les tentatives de regroupements de producteurs qui tentent
    d’imposer des prix justes à l’industrie agro-alimentaire. Par ailleurs, la préférence des consommateurs pour des produits « locaux » est devenue aujourd’hui une tendance forte, au-delà des seuls pays industrialisés, et les initiatives se multiplient, que certains pouvoirs publics commencent à favoriser. La création récente dans les supermarchés de rayons de produits locaux ou fermiers montre que cette tendance s’enracine mais elle est récupérée par les grandes chaînes, au risque de prix moindres pour les producteurs locaux.
  • Parce que sans moyens de subsistance suffisants, les paysan-ne-s ou ruraux migrent vers les villes ou d’autres pays, renforçant l’insécurité alimentaire et les déséquilibres territoriaux.
    L’agriculture paysanne et la pêche artisanale produisent actuellement plus de 70% de l’alimentation mondiale et il est urgent que ceux qui nourrissent le monde soient
    reconnus et valorisés économiquement. L’article 18 vise à améliorer la reconnaissance économique et culturelle du travail de la terre et de ses produits, trop souvent déconsidérés dans beaucoup de sociétés. Si l’on veut garantir la sécurité alimentaire à moyen et long terme tout en préservant la planète, il faut que les jeunes générations puissent considérer la production agricole et alimentaire
    paysanne comme une activité d’utilité publique, reconnue à sa juste valeur et donc bien valorisée économiquement, et qu’elles aient donc envie d’y participer.
    Version actuelle de l’article dans le projet 2017 de Déclaration
    ARTICLE 16 – Droit à des revenus et moyens de subsistance décents et aux
    moyens de production
    • 1. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont droit, pour eux-mêmes et pour leur famille, à des revenus et moyens de subsistance décents, ainsi qu’aux moyens de production nécessaires à leur réalisation, y compris les outils de production, l’assistance technique, le crédit, les assurances et d’autres services financiers.
    • Ils ont en outre le droit d’utiliser individuellement et collectivement des méthodes traditionnelles d’agriculture, de pêche et d’élevage et d’élaborer des systèmes de
    commercialisation basés sur la communauté.
    • 2. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont droit aux moyens de transport et aux installations de transformation, de séchage et de
    stockage nécessaires à la vente de leurs produits sur les marchés locaux, nationaux et régionaux à des prix qui leur garantissent un revenu et des moyens de subsistance décents.
    • 3. Les États prendront des mesures appropriées pour renforcer et soutenir les marchés locaux, nationaux et régionaux, de manière à les faciliter, et pour assurer
    aux paysans et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales un accès et une participation entiers et équitables à ces marchés afin d’y vendre leurs produits
    à des prix leur permettant, ainsi qu’à leur famille, de bénéficier d’un niveau de vie adéquat. Les prix devraient être fixés dans le cadre d’un processus équitable et transparent faisant appel à la participation des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et de leurs organisations.
    • 4. Les États ne négligeront aucune mesure pour s’assurer que leurs politiques et programmes concernant le développement rural, l’agriculture, l’environnement,
    le commerce et l’investissement concourent effectivement à l’élargissement de l’éventail des options en matière de moyens de subsistance locaux et à la transition
    vers des modes de production agricole respectueux de l’environnement. Les États favoriseront la production agroécologique, biologique et durable, chaque fois que
    possible, et faciliteront les ventes directes des agriculteurs aux consommateurs.
    • 5. Les États prendront les mesures requises pour accroître la résilience des paysans aux catastrophes naturelles et autres perturbations graves, telles que les dysfonctionnements du marché.

CONTACT:

(1) Youth and agriculture: key challenges and concrete solutions. Published by the Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) in collaboration with the Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation (CTA) and the International Fund for Agricultural Development (IFAD), 2014. http://www.fao.org/3/a-i3947e.pdf

(2) Voir les autres notes de FIAN correspondant à ces articles.

(3) Community supported agriculture (CSA) en anglais, Association pour le maintien de
l’agriculture paysanne (AMAP) en France, Groupe d’achat solidaire de l’agriculture
paysanne (GASAP) en Belgique,… cf. Urgenci, International CSA Network : http://urgenci.
net.

(4) L’article 11 de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’encontre des femmes reconnaît le droit à des conditions de travail qui garantissent,
au minimum, des salaires justes et comparables à ceux des hommes pour un travail
équivalent, sans discrimination d’aucune forme.

(5) L’accord GATT/OMC de 1994 a « blanchi » le dumping des pays riches en leur
permettant, sans limite (« boîte verte »), d’octroyer des subventions à leurs producteurs
pour compenser les prix mondiaux trop bas.

(6) Par exemple, la régulation du marché laitier au Canada permet des prix justes aux
producteurs et raisonnables aux consommateurs.

(7) Ces droits sont également reconnus dans nombre d’instruments régionaux, tels que la
Charte sociale européenne et le Protocole additionnel à la Convention américaine des
droits de l’Homme (articles 6 et 7).

(8) Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale 12 sur le
droit à l’alimentation (E/C.12/1999/5), paragraphe 15.

(9) Les directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une
alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ont été
adoptées par la FAO en 2004. La directive 8.8 précise par exemple que: “Il convient
que les États prennent des mesures pour encourager un développement durable qui
créerait des débouchés en matière d’emplois suffisamment rémunérés pour que les
salariés et leurs familles puissent mener une vie décente, tant dans les zones rurales
qu’urbaines, et pour protéger et favoriser le travail indépendant”.

(10) Comité pour la sécurité alimentaire mondiale (CFS), Recommandations sur le lien
entre les petits exploitants et les marchés (CFS 2016/43/5). Les recommandations
mentionnent également l’importance de promouvoir les produits des petits producteurs
ayant des caractéristiques de qualité spécifiques de façon à augmenter leur revenu,
répondre à la demande des consommateurs et préserver les pratiques traditionnelles
et la biodiversité (xiv).

(11) http://ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—cabinet/documents/
genericdocument/wcms_371205.pdf

(12) http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_
ID:2453907#declaration

13 https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/ursum_f.htm#aAgreement

14 Quand les coopératives deviennent trop grandes, parfois des multinationales, elles
oublient le plus souvent les intérêts des producteurs-coopérateurs et il n’est pas rare
qu’elles paient les produits moins cher que l’industrie alimentaire privée.

Face à la montée des nationalismes et de la xénophobie, la souveraineté alimentaire est plus nécessaire que jamais.

Tribune publiée par Médiapart et Le Courrier (CH)

Avec le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée de l’extrême droite en Europe et le développement des migrations, il est urgent d’intensifier la coopération entre les pays et leurs populations. Les guerres, le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, la pauvreté massive, la faim et la malnutrition mais aussi l’accroissement des inégalités sont autant de problèmes fondamentaux que l’humanité doit chercher à résoudre ensemble. On ne peut le faire sans remettre en cause à la fois  la mondialisation néolibérale actuelle, et les orientations  xénophobes et nationalistes qui se présentent contre la globalisation économique tout en protégeant et renforçant leurs propres intérêts.

Les fausses réponses au néolibéralisme sont à la une, notamment celle de Donald Trump  qui, dans son projet présidentiel, d’un côté développe des protections contre les importations et bloque le Traité transpacifique, et de l’autre favorise le capitalisme financier, les multinationales américaines, les énergies fossiles et le capitalisme vert,… tout en niant le dérèglement climatique et réprimant les luttes sociales. L’Union européenne n’est pas en reste, qui impose à l’Afrique des accords de « partenariat » économique (APE) très inégalitaires et maintient dans la politique agricole commune (PAC) des outils de protection masqués et de dumping[1]. Les critiques officielles -y compris celles du FMI- des défauts ou excès de la mondialisation, le report du projet de traité transatlantique (alors que le CETA[2] est en cours d’adoption), ainsi que la réduction actuelle des échanges internationaux, nous montrent que le cadre néolibéral actuel est à bout de souffle. Mais ces évolutions n’empêchent pas les multinationales de poursuivre leurs offensives,  en se protégeant avec des brevets et en cherchant à imposer des tribunaux d’arbitrage privés dans les accords commerciaux.

Les mouvements sociaux luttent contre les projets de traité de «libre»-échange, pour la justice climatique, pour la solidarité internationale, pour la conquête de nouveaux droits pour les paysan(ne)s et pour le respect des droits humains partout dans le monde. Ces luttes diverses visent à répondre aux attentes des populations victimes des effets de la mondialisation néolibérale, dans les domaines de l’alimentation, de l’environnement, du revenu et de l’emploi, notamment. Au cœur de ces luttes s’inscrit le mouvement pour la souveraineté alimentaire, qui revendique le droit des populations à décider démocratiquement de leur politique agricole et alimentaire et vise un changement en profondeur de nos systèmes alimentaires.

Notre réponse à la montée des nationalismes et de la xénophobie réside dans le renforcement des mobilisations aux quatre niveaux (local, national, régional, international) qui permettront la conquête progressive de la souveraineté alimentaire, revendication portée depuis 1996 par le mouvement paysan mondial Via campesina et de nombreuses organisations. La souveraineté alimentaire, c’est « le droit des populations, de leurs pays ou unions, à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping [ou mieux sans préjudices] vis-à-vis des autres pays », (Via campesina, 2003). Elle « place ceux qui produisent, transforment et consomment une alimentation locale et saine, au cœur des systèmes et politiques alimentaires et agricoles [] en lieu et place des exigences du marché et des transnationales« (Forum Nyéléni, 2007). C’est une exigence démocratique, qui se situe à l’inverse de la captation du pouvoir par l’agenda des sociétés transnationales. Et ce n’est pas un agenda du repli sur soi : les mouvements sociaux qui revendiquent la souveraineté alimentaire expriment une solidarité transnationale, et ils ne contestent pas le rôle du commerce international — bien qu’ils appellent à sa régulation, et à un rééquilibrage entre commerce international et renforcement des systèmes alimentaires locaux.

La souveraineté alimentaire est à traduire à l’ONU en un nouveau droit commercial international, favorisant l’adoption aux niveaux national et régional de politiques agricoles adaptées aux besoins des pays en matière d’organisation des marchés et d’appui aux agricultures durables et favorables à des pratiques alternatives de production et d’échange. Elle vise à assurer la sécurité alimentaire dans de bonnes conditions. La souveraineté alimentaire n’est pas l’autarcie. Elle veut  mettre le commerce international à sa juste place en donnant la priorité à l’agriculture et à l’alimentation de la population, non aux marchés. Elle donne un nouveau cadre favorable à des politiques  de relocalisation des productions, à l’agroécologie, à la protection et à l’accès durable aux ressources. Elle permet de développer des systèmes alimentaires donnant la priorité à la nutrition, à la santé, à l’environnement et adaptés culturellement.

Au plan international, elle fournit la base pour passer d’échanges actuellement hégémoniques -favorisés par les règles de l’OMC- au profit des Etats puissants et des sociétés multinationales,  à des échanges de type coopératif, limitant les avantages des pays pouvant abuser de leur situation concurrentielle.  Au devoir des pays de ne pas nuire aux économies agricoles des pays tiers  doit correspondre le droit  de mettre en place de réelles protections -droits de douanes et quotas d’importation notamment-, justifiées sur les plans économique, social et écologique.

Face à la concentration globalisée du pouvoir alimentaire, la prise de conscience par les consommateurs et les citoyens des enjeux et de leur capacité d’action s’est bien développée. Les initiatives de relocalisation alimentaire se multiplient, mais restent fragiles dans le cadre des politiques actuelles. Dans cette bataille pour la souveraineté alimentaire, ne  laissons pas  les paysans seuls. L’alimentation est l’affaire de tous. Ensemble, organisations paysannes et citoyennes, certaines institutions, chercheurs, s’appuyant sur les réussites locales de « transition », nous devons proposer de nouvelles règles, de nouveaux cadres pour le commerce international agricole et les politiques agricoles et alimentaires. Il y a urgence. L’adoption prochaine d’une déclaration onusienne sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant en milieu rural et les avancées au sein du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale, notamment en ce qui concerne l’importance de l’accès aux marchés locaux, nationaux et régionaux pour les petits producteurs, devraient constituer autant de points d’appui vers la souveraineté alimentaire.

Par les mobilisations larges et plurielles qu’elle implique, comme par ses nombreux apports, la conquête de la souveraineté alimentaire constitue une  bataille essentielle dans la période actuelle à hauts risques: pour faire reculer les nationalismes, les injustices, la xénophobie, pour la sauvegarde et le développement de l’agriculture paysanne, pour une alimentation  nutritive et saine, accessible à tous, et pour la protection de la planète.

 Michel Buisson, Auteur de « Conquérir la souveraineté alimentaire », l’Harmattan, 2013

 Gérard Choplin, Auteur de « Paysans mutins, paysans demain-Pour une autre politique agricole et alimentaire », Editions Yves Michel, à paraître en février.

 Priscilla Claeys, Senior Research Fellow in Food Sovereignty, Human Rights and Resilience, Centre for Agroecology, Water and Resilience (CAWR), Coventry University (UK)

 Gustave Massiah, Auteur de « Une stratégie altermondialiste » Editions La Découverte Paris 2011 ; Représentant du CRID au Conseil International du Forum Social Mondial

Cosignataires

 Jacques Berthelot, Economiste, auteur de « Réguler les prix agricoles », L’Harmattan, 2013

 Ibrahim Coulibaly, Président de la CNOP (Coordination Nationale des Organisations Paysannes) du Mali

 Manuel Eggen, Chargé de recherche et plaidoyer FIAN Belgium

 Christophe Golay, Auteur de « Droit à l’alimentation et accès à la justice », Bruylant, 2011, et « The Fight for the  Right to Food. Lessons Learned », Palgrave Macmillan, 2011

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne

Geneviève Savigny, Coordination européenne via campesina

Olivier de Schutter, Ancien Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation (2008-2014)

Aurélie Trouvé, Maître de conférences Agro-ParisTech, Porte-parole d’Attac

[1]  Les paiements directs de la PAC permettent d’exporter des produits agricoles à des prix inférieurs aux coûts de production. Notifiés indûment dans la « boîte verte » de l’OMC, ils sont sous la menace constante d’une poursuite à l’OMC. Associés à des prix agricoles alignés sur les cours mondiaux, ils sont de fait une subvention à l’agro-industrie et à la grande distribution, qui s’approvisionnent à bas prix en produits européens.

[2] Accord commercial signé entre l’UE et le Canada mais non encore ratifié.

https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/200117/face-la-montee-des-nationalismes-et-de-la-xenophobie-la-souverainete-alimen