article paru dans Campagnes Solidaires, juin 2020 – dans le dossier : Ce que l’on veut pour le monde d’après
Mettre le commerce international à sa juste place pour changer de politique agricole
Priorité au commerce local et régional pour assurer notre sécurité alimentaire. L’Union européenne, première importatrice et exportatrice alimentaire au monde, doit prendre l’initiative.
En ce mois d’avril, dans les ports du Vietnam, les cargos de poulets congelés américains stationnent en attendant la réouverture des ports chinois (1). En Sibérie, 33 000 ouvriers agricoles chinois manquent à l’appel et de l’autre côté du continent, des charters de saisonniers roumains sont affrétés pour tenter de sauver la récolte d’asperges allemande. Notre économie mondialisée à flux tendus de produits et de main-d’œuvre se « grippe » vite.
Nos gouvernants, qui n’avaient à la bouche qu’exportation, externalisation, délocalisation, optimisation, spécialisation, avantages comparatifs, nous abreuvent d’autonomie, d’indépendance, d’autosuffisance, voire de souveraineté alimentaire(2). Discours confus sans lendemain ou révolution des esprits ? « De tout temps, les plus grandes remises à plat ont résulté des chocs les plus sévères ». (3)
Il faut dire que le commerce international agricole marche sur la tête et pourrait nous jouer des tours dans les prochains mois. Ses règles, qui datent de 1994 (création de l’OMC, Organisation mondiale du commerce) et formatent notre Politique agricole commune (4), favorisent les exportations/importations et défont les mesures de sécurité alimentaire comme la constitution de stocks ou la régulation des marchés. Importer du soja du Brésil, transformé en porc dans de grands élevages danois surendettés, puis exporté au Japon en laissant le lisier sur place, est un non-sens qui produit beaucoup d’externalités négatives et de fragilité économique. Mondialiser les prix agricoles à des niveaux inférieurs aux coûts de production et verser des sucettes aux paysan ·nes pour qu’ils continuent à produire quand même a été criminel.
L’heure est venue d’en tirer les leçons : mettre le commerce international à sa juste place, ni plus, ni moins, pour changer les priorités de la Pac et garantir la sécurité alimentaire de manière souveraine, restaurer la biodiversité, enrayer l’emballement climatique et faire vivre nos terroirs ruraux riches de leurs paysan·nes et de leurs produits : voilà le chantier politique. Comment faire, alors que le multilatéralisme semble à l’agonie ?
L’Union européenne, première importatrice et exportatrice alimentaire au monde, doit prendre l’initiative, le commissaire au Commerce Phil Hogan, encore droit dans ses bottes, dût-il avaler son chapeau. L’alimentation est trop vitale et stratégique pour la laisser entre les mains des traders.
Priorité donc au commerce local et régional pour assurer notre sécurité alimentaire, et laissons au commerce international le rôle d’échanger des produits régionaux spécifiques et à haute valeur ajoutée pour les producteurs et productrices.
Une autre Pac
Faut-il encore qu’il reste des paysans et des paysannes en Europe pour produire ! Pour cela, les prix agricoles doivent payer les coûts de production et le travail, ce qui suppose de maîtriser la production européenne et de fixer des droits de douane variables aux frontières de l’UE, au niveau du coût de production durable moyen dans l’Union. En échange, toute exportation à un prix inférieur à ce niveau serait taxée. C’est l’une des bases de la souveraineté alimentaire : pas de protection sans mettre fin au dumping.
La grande partie du budget actuel de la Pac, consacrée aux aides sucettes à l’hectare, serait libérée pour soutenir, dans des proportions à discuter :
- les exploitations durables des zones défavorisées (coûts de production plus élevés),
- la transition agroécologique des fermes,
- les transitions vers des circuits courts généralisés,
- la restauration collective bio et locale,
- la consommation alimentaire des plus pauvres,
- la constitution de stocks européens de sécurité pour les produits de base.
Si toutefois l’UE, malgré les défis actuels, n’arrive pas à impulser de nouvelles règles du commerce international, alors elle devra mettre en œuvre unilatéralement les mesures proposées. Elle ne serait pas la première à oublier les vieilles règles de l’OMC !
Ces mesures ne suffiront pas bien sûr si, entre autres, on n’arrête pas le dumping fiscal, social, et environnemental entre États membres, si on ne modifie pas les règles de la concurrence et si on n’engage pas une politique structurelle en faveur des petites et moyennes exploitations.
Chiche ?
Gérard Choplin
(1) Arc2020.eu – 9/4/2020.
(2) Emmanuel Macron – intervention télévisée du 12/3/2020.
(3) Walter Scheidel – cité par Le Monde Diplomatique –4/2020 – p. 21.
(4) Accord GATT/OMC de Marrakech – voir chapitre VI – Paysans mutins, paysans demain – G. Choplin – 2017.
Commentaires sur: "Mettre le commerce international à sa juste place pour changer de politique agricole" (3)
[…] aux paysan.nes pour qu’ils continuent à produire quand même a été criminel ». 1C’est ainsi que 20% des fermes reçoivent 80% des aides de la PAC dans l’UE, tandis qu’au sein […]
[…] https://gerardchoplin.wordpress.com/2020/06/04/mettre-le-commerce-international-a-sa-juste-place-pou…%5B%5D […]
Merci Gérard pour cette excellente analyse et pour ton blog que je ne découvre que maintenant